dimanche 29 novembre 2009

Ochlocratie

Voilà ce qui se passe quand on abuse de la démocratie. La Suisse, pays dont le système s'approche d'assez près d'une démocratie directe, vient de voter à une confortable majorité, lors d'un référendum d'initiative populaire lancé par l'extrême-droite, l'interdiction d'ériger des minarets sur les mosquées. Voilà une excellente illustration pour ma thèse du jour : la démocratie électorale, ou raison du plus nombreux, est un mode de fonctionnement politique attentatoire tant à la liberté qu'à l'égalité et au bien-être des individus. Elle nous révèle donc une fois de plus son vrai visage : la dictature de la majorité sur la minorité, où l'arbitraire de 51% (56% en l'occurrence) de la population peut décider de la spoliation des 49% restants.

Depuis l'antiquité grecque, il existe un terme qui synthétise le côté obscur de ce système tant vanté : "ochlocratie". Il définit "la forme de gouvernement dans lequel la multitude, la foule, la populace, détient tous les pouvoirs et impose tous ses désirs", un "règne de la médiocrité et de la vulgarité". La seule chose qui distingue la démocratie (au sens courant) de l'ochlocratie, c'est l'usage que le peuple fait du pouvoir, la vertu avec laquelle il l'exerce. Si on considère, comme on a tendance à le faire dans nos démocraties modernes, que le peuple a toujours raison par essence, l'ochlocratie n'existe pas et la Suisse a eu raison de voter cette interdiction. Si au contraire, comme j'y ai tendance, on considère que seul l'individu a raison pour ce qui le concerne, alors toute démocratie qui ne s'évertue pas exclusivement à garantir les libertés (et une telle démocratie ne s'est encore jamais vue) est ochlocratie.

Comme d'habitude quand j'ai à dénoncer quelque chose qui plaît à la plupart de mes contemporains, je commence par m'interroger sur les raisons qui rendent le système démocratique tellement populaire parmi les masses modernes.
En tout premier lieu bien sûr, la démocratie est considérée comme la seule alternative aux régimes monarchiques, dont les révolutionnaires, républicains et progressistes de tout poil se sont empressés de nous brosser le plus sombre des portraits dès les prémisses de la Révolution.
On – les théoriciens du contrat social, les premiers démocrates libéraux et leur progéniture bâtarde socio-démocrate – nous a présenté le peuple comme une entité à part entière, comme un corps qui doit pouvoir se mouvoir d'une même volonté, soit celle de la majorité des cellules qui le composent. En fait, on nous a implicitement (et sans doute inconsciemment) livré le sophisme suivant : Chaque homme libre doit pouvoir prendre librement les décisions qui le concernent ;
un peuple est un ensemble d'hommes libres ; donc un peuple doit pouvoir prendre librement les décisions qui le concernent. Malheureusement, la liberté ne supporte pas la montée en charge. On ne peut nantir la communauté des droits de l'individu qu'en les lui ôtant, substituant la tyrannie à la liberté.

D'ailleurs la question de l'autorité du peuple pose un véritable problème métaphysique. À l'instar de l'Euthyphron de Platon, qui définit la piété comme ce qui plaît aux dieux, nos sociétés démocratiques assimilent le juste à la volonté du peuple. Mais est-ce parce que le peuple ne veut que ce qui est juste – et peut le traduire en loi par la seule démocratie – ou parce que le juste naît uniquement de la volonté du peuple ? Y a-t-il un droit préexistant à la volonté du peuple, ou découle-t-il de cette volonté ? La poule ou l'œuf ?

J'attire de plus ton attention sur le fait que le vote est systématiquement un acte emprunt d'un fort égocentrisme. En effet, le citoyen qui choisit rationnellement de fournir l'effort de se déplacer à son bureau de vote se trouve fatalement dans un de ces deux états d'esprit :
– soit il se considère plus malin que la moyenne, plus apte que la moitié des autres votants à déterminer la meilleure solution pour l'ensemble de la société ;
– soit il considère son intérêt personnel avant celui de l'ensemble de la société puisque, bien qu'il ne s'estime pas plus compétent que la moyenne, il choisit tout de même de peser sur la décision, nonobstant que ce puisse être nuisible à la meilleure décision pour l'ensemble, prise par plus sage que lui.
Donc, soit le votant ne croit pas à la sagesse du peuple pour se gouverner convenablement – et partant, il ne croit pas à la démocratie – soit il trouve préférable de favoriser son intérêt personnel en contrecarrant la sagesse populaire – et par là démontre la nature perverse du suffrage.
Je t'accorde que la plupart du temps, il n'est tout simplement pas si rationnel, réagissant machinalement à de bêtes pulsions d'imitation ou à des pressions sociales émanant d'individus plus ou moins directement intéressés à son vote. Mais un citoyen qui vote sans même la conscience du narcissisme intrinsèque à son geste est-il vraiment digne de ce pouvoir sur ses semblables ?

Les libéraux ont une approche différente de la démocratie. Pour eux, justice et liberté se confondent. Il n'y a d'autre droit que ceux de l'individu : les droits de l'homme, libertés négatives traduites en interdiction d'agresser la personne ou la propriété d'autrui. La loi ne sert qu'à garantir cette liberté, qui se résume en principes simples (une déclaration des droits ? une constitution ?). À supposer qu'il faille bien un pouvoir public pour faire appliquer ces principes, le rôle du vote populaire se borne à sa surveillance, à la sanction de ses atteintes au droit (notamment au droit de propriété, via l'impôt) et à la liberté des citoyens.

Évidemment, les politiciens de tout bord, soutenus par divers utopistes, ont tout intérêt à faire croire que ce régime vise plutôt à leur attribuer de nouvelles prérogatives, à dépouiller les individus, au nom de la collectivité, de leur droit de faire prospérer leur patrimoine, de consommer ce qu'ils veulent consommer ou encore de vénérer leurs dieux de la manière qu'il leur plaira. C'est sans doute pourquoi on n'a jamais vu de vraie démocratie s'établir durablement. Et sans doute ne disposons-nous guère d'alternative préférable au vote pour l'organisation de sociétés à grande échelle. Mais au moins sachons nous rappeler qu'un peuple fait un piètre dirigeant, et le plus inamovible des tyrans.

vendredi 23 octobre 2009

Contradictions alternatives

"Nous imposerons la liberté par la force !" s'écrie l'anarchiste révolutionnaire.
"L'égalité sera garantie par le pouvoir." propose le communiste autoritaire.
"Je suis super tolérant, mais seulement envers ceux qui ont les mêmes idées que moi." explique l'anti-raciste militant.
"La femme ne sera libérée que lorsqu'elle sera réduite à la vision que nous avons d'elle." professe la féministe.
"C'est en escamotant la différence qu'on atteindra la tolérance." proclame le républicain anti-communautarisme.

Évidemment non, ils ne le formulent pas comme ça. En réalité, ils n'ont généralement pas conscience de l'aspect contradictoire de leurs belles idéologies. L'alliance de bonnes intentions avec une perspective utopique et la conviction que la fin justifie les moyens n'est guère propice à la remise en question. Si on ajoute à cela que le militant lambda est souvent un tel partisan de l'action qu'il en vient à mépriser tout ce qui pourrait l'en détourner, débat approfondi en tête, on s'aperçoit qu'on a tous les ingrédients qui augurent des plus sombres perspectives.

J'aimerais opposer à ces contradictions d'autres paradoxes, selon moi à la fois plus légitimes et plus fertiles.

Tout d'abord, j'aimerais introduire l'éventualité d'être à la fois opposé au racisme et à l'anti-racisme, du moins dans sa version militante que beaucoup de mes concitoyens semblent considérer comme l'héritage positif de la Seconde Guerre Mondiale, la leçon à tirer de la Shoah. S'il est un domaine où tout le monde semble s'accorder pour concéder que la fin justifie les moyens, c'est bien ce fameux "Tout faire pour que ça ne se reproduise plus". Tant pis si l'on doit pour cela avoir recours aux moyens mêmes qui ont fait le triomphe de l'idéologie raciste sur la raison humaine : censure, ferme négation pseudo-scientifique de l'existence des races, manipulation de masse, glorification de symboles patriotiques, galvanisation des rancœurs héritées de la dernière guerre en date, etc. C'est là une belle leçon de pragmatisme : au lieu de retenir que ces méthodes n'étaient nullement le chemin de la raison, nous en avons seulement retenu qu'elles étaient efficaces pour modeler l'opinion.

Nous en arrivons donc au deuxième paradoxe que je me propose de te proposer : savoir être à la fois contre le fascisme, et contre l'anti-fascisme, ou du moins son penchant autoritaire. Retrouver des affiches déclarant arbitrairement "Ici, zone anti-fasciste", posées par les mêmes anarchistes révolutionnaires qui entendent imposer la liberté par la force, n'a plus rien de surprenant, à tel point qu'on en oublie presque le niveau d'aberration dont de telles pratiques relèvent. Vouloir combattre une idée par l'autorité, en l'interdisant publiquement, est d'une totale inefficacité ; la pérennité de nombre d'idéologies opprimées (christianisme, judaïsme, etc.) en témoigne. En plus de cette inefficacité, l'idée d'une lutte contre l'idéologie de l'autorité par le moyen de l'autorité relève de la plus dangereuse des absurdités.

Allez, enfonçons-nous dans la provocation, soyons féministes, soit favorables à une égalité des droits entre hommes et femmes, et anti-féministes, c'est-à-dire opposés à l'image de la femme et à l'égalitarisme autoritaire que promeuvent les féministes. Et si nous étions laïques, désireux que les pratiquants de chaque religion puissent cohabiter librement, tout en rejetant l'idée que des députés judéo-chrétiens interdisent à des musulmanes de satisfaire à leurs coutumes vestimentaires au sein d'écoles dont ils leur ont rendu la fréquentation obligatoire ?

Bon, on peut sans doute s'arrêter là. Tu l'as remarqué toi aussi, c'est un peu toujours le même schéma. Le motif qui se répète ? La dénonciation de la confusion entre le vice et le crime, entre le mal et l'interdit, entre ce qui relève de la morale et ce qui relève du droit. On peut être en désaccord avec une idée, réprouver un fait, sans pour autant vouloir les interdire. De même, pour peu qu'on soit réellement attaché à des concepts comme la liberté ou la tolérance, on devrait en leur nom s'opposer à l'interdiction de ce qu'on désapprouve.

mercredi 30 septembre 2009

Révolution

Un jour je m'amuserai à rédiger un dictionnaire énumérant toutes les atrocités justifiées, et parfois même encensées, en invoquant le doux nom de la révolution.

Nan je déconne, ça me prendrait beaucoup trop de temps. Des guillotinés en chaîne de la Terreur française aux exactions de la révolution culturelle chinoise ; de la routine des coups d'état africains au terrorisme des milices communistes sud-américaines ; des innombrables massacres populaires spontanés à l'holocauste russe et ses cent millions de morts ; je blêmis à la seule idée de la quantité de papier qu'il me faudrait noircir pour couvrir, même brièvement, la mort souvent atroce de chacune des victimes des révolutions. On ne compte plus le nombre de régimes totalitaires et liberticides imposés au pouvoir par une minorité belliqueuse et sans merci, auto-proclamée voix du peuple au nom d'un énième idéal utopique.

Et pourtant, en France comme dans de nombreux autres pays, la révolution reste le symbole même de la justice, de la liberté et de l'émancipation. En tous ces états, le pouvoir l'agite tel un drapeau, fondant sur elle, sur cet accaparement par la force, sa légitimité et son autorité, imprimant au peuple son unité forcée dans des valeurs idéalistes qui, même si son ensemble les avait réellement choisies unanimement, ont depuis fatalement été perverties par l'épreuve de la réalité. Et il l'agite tant et si bien que le peuple finit par la suivre, captivé par elle, convaincu d'y voir son salut, et que son salut ne peut venir que d'elle.
Le peuple français en est un exemple édifiant : ayant basé la légitimité de son régime de gouvernance sur une révolution (ou plutôt sur une succession de révolutions), il s'est convaincu, de commémorations en fêtes nationales, qu'elle est la responsable de tout le progrès dont il a bénéficié depuis. Il a comme oublié que nombre de ses voisins n'ont pas eu besoin d'un tel déchaînement de violence pour jouir des mêmes bienfaits. Engoncé dans son chauvinisme et les discours de ses politiciens, il refuse toujours de réaliser que, bien loin de l'avoir gratifié d'un quelconque avantage, ce culte de l'ochlocratie l'a fragilisé, contribuant à son éconduite dans la sympathie d'aberrations politiques qui l'handicaperont sans doute encore durablement.

Ne pouvons-nous donc convenir, avec Rousseau, que la force ne fait pas droit ? Qu'une minorité ayant pris un pays par les armes, ou dressé son armée contre son gouvernement, n'a pas nécessairement plus de légitimité à imposer sa volonté que le gouvernement à l'origine de son mécontentement ? Pire, qu'approuver un tel coup d'état revient à en entériner la méthode, et à légitimer sa prévisible récurrence ? Comment notre idéal révolutionnaire peut-il juger l'instabilité gouvernementale en Afrique ou les exactions de groupes terroristes tels que les FARC, alors que ceux-ci ne font que s'y conformer ?

Chaque régime est basé sur une législation, sur un ordre des choses donné. S'il est inadapté, il doit être modifié à moindre coût, et pour un autre plus adapté, ce qui suppose une avancée progressive et raisonnable, une évolution plus qu'une révolution.
Et quand bien même le peuple serait persuadé de n'avoir rien à perdre, que le régime qu'il instaurera sera forcément préférable au précédent, que se passera-t-il quand il s'en sera lassé ? Aussitôt que le soufflet des fausses promesses sera retombé, quand il aura réalisé le peu d'influence positive qu'un gouvernement peut avoir sur ses soucis quotidiens et que de nouveaux idéalistes viendront proposer une nouvelle utopie, le peuple, fort de son héritage révolutionnaire, renversera encore son régime et écrasera ses fidèles en un nouveau tour sanglant de ce manège macabre.
Même en présumant qu'il soit légitime d'imposer un régime quelconque, nouveau ou ancien, à une partie de la population, je ne m'explique pas qu'on puisse accepter, légitimer, encenser cet accouchement dans une douleur systématique, dans une horreur indicible.

Car la révolution c'est tout ça : les idées qui valent plus que la vie humaine ; des hommes qui en massacrent d'autres pour les punir non de leurs actes mais de leurs opinions ; des tribunaux arbitraires qui assassinent à la chaîne sur la base d'un régime de droit qui n'était pas en place au moment des faits, ne retenant même pas à la décharge des condamnés la fatalité de leurs conditions d'alors ; la sécurité de chacun livrée au bon vouloir d'une foule sanguinaire et ignorante, aveuglée par une colère souvent mal orientée par les opinions faillibles que lui prêchent d'implacables démagogues.

Les révolutionnaires les plus aguerris, le plus souvent athées convaincus, ont cela de commun avec les croyants qu'ils sont convaincus d'appartenir à quelque chose qui les dépasse, qui justifie qu'ils s'y consacrent tout entiers, qu'ils combattent inlassablement, qu'ils châtient sans pitié l'hérétique. Cet idéal absolu, par lequel ils se laissent régir et dont ils tirent leur prétendue autorité à régir les autres, ils ne lui donnent pas le nom de dieu, mais de cause. En braves petits croisés, ils vont au combat sacrifier à la cause tant leurs vies que celles de leurs opposants.

Enfin, peut-être un jour les individus parviendront-ils à s'apercevoir que leur destinée repose entre leurs mains, et non dans les griffes dont ils nantissent leurs gouvernants, s'érigeant tour-à-tour en troupeau sous leur garde ou en armée pour les renverser. Peut-être alors, comme le rêvait La Boétie, les laisseront-ils tomber, petit à petit et sans autre effusion de sang que celles que requiert la légitime défense, réprimant les actes et non les idées. Et peut-être encore ne suis-je, moi aussi, qu'un dangereux idéaliste.
Je n'ai pas encore la prétention de proposer une méthode de réforme parfaite et infaillible. Mais je refuse de voir autrement que comme un mérite mon rejet catégorique, tant intellectuel que moral, d'idéaux qui prétendent baser leur légitimité sur la coercition et la transgression.
Débarrassons-nous de cet idéal révolutionnaire, et avec lui d'une des chaînes nous liant à l'autorité étatique. Cela ne nous suffira sans doute à gagner ni la paix sociale, ni la liberté, mais au moins y obtiendrons-nous que ces deux idéaux ne soient plus mis à mal par cette insatiable chimère.

samedi 22 août 2009

Ouverture d'esprit

Je sais, le thème de cet article peut sembler redondant de celui que j'ai déjà publié au sujet de la tolérance. En effet, ces deux concepts, ouverture d'esprit et tolérance, sont très souvent confondus, à tort. Comme je l'ai déjà suffisamment développé, la notion de tolérance concerne un objet déjà connu, sur lequel on a déjà porté un jugement négatif, et qu'on tolère malgré tout. A contrario, l'objet de l'ouverture d'esprit est l'inconnu.

C'est donc un concept très proche de la curiosité. Celle-ci porte sur l'envie de connaître, de repousser la limite de son ignorance. Ce n'est pas moi qui le dit, mais le Larousse : "Qualité de quelqu'un qui a le désir de connaître, de savoir". D'ailleurs cette acception démontre bien que le lieu commun proverbial la présentant comme un vilain défaut est parfaitement obscurantiste, reposant sur la confusion entre curiosité et indiscrétion, liées sémantiquement par le seul jeu des abus de langages.
L'ouverture d'esprit inclut la curiosité, mais la pousse un peu plus loin : Il s'agit non seulement de chercher à amasser des connaissances, mais aussi d'effectuer un effort de compréhension vis-a-vis de l'objet de découverte. Par exemple, concernant une idée, il s'agit de chercher à comprendre le point de vue qui l'a inspirée, le contexte dans lequel elle est valide, recevable, envisageable. Il en va de même pour un goût, un intérêt, la qualité d'une œuvre d'art, etc.
L'origine de la confusion entre ouverture d'esprit et tolérance provient donc juste de la croyance philanthropique en ce que le premier entraîne le second. En effet, on considère que, comprenant mieux la genèse d'un point de vue, on pourra nécessairement mieux le tolérer. A contrario, j'ai souvent constaté que la prise de conscience de l'ignorance et de la mesquinerie ayant conduit à telle ou telle prise de position me la rendait bien souvent d'autant plus intolérable.
Veillons tout de même à rétablir quelques vérités concernant les propriétés qu'on prête injustement à l'ouverture d'esprit, étendant l'acceptation de son sens au-delà de ses limites.

Premièrement, elle ne présume pas des capacités intellectuelles ou du bagage culturel d'un individu. Il est évident que la compréhension d'un texte de Nietzsche par exemple, n'est pas à la portée du premier venu. Elle demande une étude poussée, une bonne capacité d'analyse et une certaine culture littéraire (sens des mots, à l'époque, pour l'auteur). Le fait qu'un individu ne comprenne pas Nietzsche car certaines de ces qualités ou connaissances lui font défaut ne devrait pas compromettre le jugement que l'on portera sur son ouverture, du moment qu'il fournit un effort de compréhension. Ainsi l'ouverture d'esprit est bien indépendante de la capacité à comprendre.

Deuxièmement, elle ne remet absolument pas en cause l'esprit critique. Il ne s'agit pas d'opérer une réelle négation de la valeur (ou du beau, du juste, du vrai...) en affirmant que tout se vaut - en effet considérer que tout a la même valeur (beauté, légitimité, vérité...) par essence revient à considérer que rien n'en a, faisant de la valeur une conception creuse qui ne servira à aucune mesure - mais au contraire de pouvoir juger la valeur en connaissance de cause. Il s'agit de réserver son jugement définitif pour quand on aura eu connaissance du sujet.
Au contraire, j'aurais même tendance à considérer (on entre dans le domaine du discutable, mais je doute que tu trouves vraiment à me contredire) que l'ouverture d'esprit n'est utile que dans une optique où elle se fait outil de l'esprit critique. En effet, on ne peut prétendre avoir poussé à bout une vision critique de ses propres opinions sans avoir étudié sérieusement les arguments adverses (et vice-versa), sans préjuger d'avance de leur irrémédiable invalidité. L'ouverture d'esprit est donc un outil nécessaire dans toute remise en question visant à démontrer (ou à infirmer) la vérité d'une thèse quelconque.
Cette confusion entre ouverture d'esprit et absence d'esprit critique est fréquemment opérée, avec plus ou moins de candeur, par ceux qui prétendent clore un débat en accusant leur adversaire de fermeture d'esprit au prétexte qu'il ne rejoint pas leur point de vue. Il va de soi qu'une accusation de ce genre n'apporte rien (et certainement pas une conclusion) au débat, dans la mesure où la conception de l'ouverture d'esprit sur laquelle elle repose induit qu'il soit parfaitement judicieux de la renvoyer à celui qui la profère, puisqu'il campe lui aussi sur sa position.

Troisièmement, elle n'induit pas complètement l'inopportunité d'un jugement a priori. Pour peu qu'on ait quelque indice à sa disposition, on peut toujours se forger une opinion provisoire. Par exemple, si je n'aime pas la betterave, et que tu me vantes les mérites de tel plat en m'expliquant qu'il a goût de betterave, je peux te répliquer, sans l'avoir goûté et pourtant sans porter atteinte à mon ouverture d'esprit, qu'il y a de fortes chances pour que ton plat me déplaise. J'aurai donc, pour peu que j'aie des raisons légitimes d'avoir confiance en ton goût et ta parole, un préjugé légitime sur ce plat.
Si je renonce à goûter le plat pour autant, je renonce à ma curiosité - et donc à mon ouverture d'esprit - en la matière. Si je le goûte sans même envisager de remettre en cause mon jugement préalable, je ne renonce pas à ma curiosité mais bel et bien à mon ouverture d'esprit. En revanche, si je suis capable de remettre en cause mon premier jugement pour en dresser un second - conforme ou non au premier : si je n'aime vraiment pas ce plat, ce ne sera pas spécialement faire preuve d'ouverture d'esprit que de le nier, et ça constituera une malhonnêteté intellectuelle - alors je fais preuve d'ouverture d'esprit.
À moins de croire avoir atteint un degré ultime de connaissance, ou encore de renoncer à celle-ci en renonçant à se faire un avis sur les choses, on est bien obligé de se forger ses opinions sur les éléments dont on dispose, et donc sur son expérience limitée. Tant que je n'ai pas goûté le plat, je ne peux baser mon opinion sur lui que sur les informations que tu m'as données. Il reste juste important que je garde à l'esprit la faiblesse des certitudes sur lesquelles repose cette opinion pour estimer au mieux sa probabilité de vérité.
Ainsi l'ouverture d'esprit ne concerne pas l'existence de préjugés chez un individu, mais bel et bien la capacité de remise en question de ces préjugés sur la base de nouveaux éléments.

On pourra donc évaluer le degré d'ouverture d'esprit d'un sujet, non à ce qu'il aime ou pas, non à ce qu'il présume ou pas, mais à ses efforts en terme de découverte et de compréhension. Le problème qui se pose alors, comme avec nombre de concepts abstraits, est de savoir jusqu'où pousser l'ouverture d'esprit et la curiosité sans les nier. Jusqu'à quel point faut-il se consacrer à l'effort de découverte (propre de la composante curiosité) et de compréhension (propre de l'ouverture d'esprit) pour ne pas risquer d'en faire une obsession et se fermer d'autres horizons ? Voilà qui restera le volet purement subjectif de l'évaluation de l'ouverture d'esprit.

jeudi 30 juillet 2009

C'est quoi le bonheur ?

Le bonheur est la pierre angulaire de mes questionnements philosophiques - pas que des miens d'ailleurs -, la seule vraie fin en soi, à la fois but et sens de la vie.
Malheureusement pour ma cohérence idéologique, cette notion de bonheur est assez insaisissable d'un point de vue sémantique, à l'instar de nombre de concepts abstraits tels que l'intégrité que j'ai déjà évoquée, ou encore l'amour sur lequel je n'ai pas fini de revenir. Chacun a sa propre définition du bonheur, parfois même plusieurs. Moi-même j'avoue rester perplexe devant cette question, incapable de me fixer sur une définition donnée, d'accorder une préférence rationnelle à l'une d'entre elles.
Le but de cette page, évolutive au fur et à mesure que j'en découvrirai de nouvelles conceptions, est de rassembler les différents sens qu'on peut donner au mot bonheur, tout en mettant en lumière leurs aspects contradictoires. Je vais tâcher de faire court, cela dit chacune des phrases suivantes mériterait sans doute d'être longuement réfléchie et débattue :

- Le bonheur, c'est une "bonne heure", un bref moment où on se sent bien ;
- Le bonheur, c'est un état de satisfaction et de bien-être durable ;

- Le bonheur, c'est l'absence de souffrance, les petits plaisirs, l'oisiveté, être allongé dans l'herbe à ne rien faire qu'en profiter, le confort ;
- Le bonheur, c'est le travail, le dépassement de soi, le chemin de la vertu ;

- Le bonheur, c'est d'avoir atteint son but ;
- Le bonheur, c'est de pouvoir se passer de but ;
- Le bonheur, c'est de tendre vers un but, et plus ce but est difficile d'accès, plus le bonheur est grand (merci Vaquette) ;
- Le bonheur, c'est de parvenir à ne pas se fixer de but qu'on est incapable d'atteindre ;

- Le bonheur, c'est la conscience des aspects positifs de son existence et la relativisation de ses aspects négatifs;
- Le bonheur, c'est quand on ne se pose pas la question de savoir si on est heureux ou pas ;

- Le bonheur, c'est quand on se sent heureux : il s'agit juste d'un ressenti, une impression dépendant uniquement de sa perception de la réalité ;
- Le bonheur, c'est un état réel, impliquant que tout bonheur basé sur le mensonge n'est pas un vrai bonheur, que la seule illusion du bonheur n'est pas le bonheur ;

- Le bonheur, c'est être content de soi, de la manière dont on a mené sa vie ;
- Le bonheur, c'est de rendre plus belle la vie des autres ;

- Le bonheur, c'est la décharge d'adrénaline, la peur dans la prise de risques ;
- Le bonheur, c'est d'être en sécurité, d'être à l'abri de la peur, de l'angoisse ;
- Le bonheur, c'est d'être capable d'ignorer la peur, même quand on prend des risques ;

- Le bonheur, c'est d'être entouré de ceux qu'on aime, d'avoir de l'amour à donner et à recevoir, d'appartenir à une communauté ;
- Le bonheur, c'est de savoir se suffire à soi-même ;

Certaines de ces propositions en englobent d'autres ; certaines qui semblent contradictoires sont en réalité conciliables, peut-être même toutes en cherchant suffisamment loin. Elles sont toutes discutables, mais je doute qu'une seule soit réellement réfutable.

On remarque quand même quelques grands mécanismes qui se détachent, comme l'opposition entre une conception du bonheur dynamique et une autre statique : le travail contre l'oisiveté, la progression contre l'achèvement, la conscience contre l'ignorance, le risque contre la sécurité, le désir contre la satisfaction. On peut aussi distinguer une vision Certes la catégorie "dynamique" est la plus esthétique, celle qui a toujours été encensée comme le chemin de la vertu, ce qui se justifie assez pragmatiquement. Mais est-elle la voie du bonheur pour autant ?
De même, on peut constater une opposition entre une vision pragmatique ou réaliste d'une satisfaction par l'action et une approche plus idéaliste ou stoïcienne, plus orientée sur la maitrise de ses propres désirs et perceptions.
Enfin on observe l'opposition entre égo et société, qui a marqué les plus féroces luttes idéologiques : individualisme contre collectivisme, capitalisme contre communisme, partisans de la liberté contre partisans de l'égalité.

La coexistence et les popularités respectives de ces conceptions différentes m'amènent à la certitude qu'il n'existe pas une seule voie du bonheur. L'une et l'autre de ces approches pourront être respectivement plus adaptées au bonheur de différents individus, ou encore alternativement à celui d'un individu donné à différents moments de son existence.
Partisan de la modération, j'ai même tendance à considérer, au moins en ce qui concerne mon bonheur personnel, qu'il repose sur un compromis entre les diverses approches, une coexistence simultanée. C'est pourquoi je m'efforce de concilier jouissance et progression, d'alterner travail et oisiveté, de chercher mon profit sans nuire à ceux qui m'entourent et d'avoir un impact bénéfique sur mon entourage - et pourquoi pas sur les sociétés humaines dans leur ensemble - dans la mesure où ça ne me cause pas de tort.

Je conçois tout-à-fait qu'on soit en désaccord avec cette conception, qu'on adopte un point de vue radical, s'auto-dictant l'obligation morale de faire un choix personnel. En revanche, pour peu qu'on adhère à l'idée première que je cherche - sinon à démontrer - à illustrer ici et qui veut que le bonheur soit une notion purement subjective, on sera forcé de reconnaître que nulle autorité ne peut prétendre imposer de règles supposées mener au bonheur de chacun à une société basée sur des individualités distinctes, à moins que les règles en question ne visent qu'à la préservation, pour ces individualités, d'une liberté aussi totale que possible, non seulement dans les moyens de la recherche de ce bonheur, mais aussi dans sa définition.

lundi 20 juillet 2009

Exaltation de la médiocrité et de l'hypocrisie

Le culte de la médiocrité est omniprésent. On le retrouve non seulement dans le succès des jeux télé ou des romans Harlequin, mais aussi dans les exhortations à rester simple, dans la sanctification du modeste (celui qui ne se met pas en avant bien que se sachant valeureux en une hypocrisie vaine que j'ai déjà brièvement dénoncé) ou encore dans le rejet des manifestations d'ego.

Les facteurs en sont assez simples. Outre l'héritage de la philosophie chrétienne qui, sans innocence aucune, promettait les clés du Paradis aux humbles, aux simples d'esprit et aux généreux (surtout envers l'Église), j'impute essentiellement ce phénomène à l'incompatibilité latente entre les appétences sociales de l'individu et la démonstration de sa valeur (au sens large).
Pour faire simple, les gens aiment se complaire dans leur médiocrité et ne supportent pas qu'on la leur rappelle. C'est déjà une impolitesse de pointer du doigt les défauts des uns et des autres, mais alors quand on le fait en soulignant sa propre irréprochabilité en la matière, ça devient carrément un affront. Un reproche quelconque passe beaucoup mieux quand on l'accompagne d'un "Mais moi je fais pareil hein !", sous-entendant "Je ne suis pas mieux que toi", mais aussi par la même, "T'inquiète, reste comme tu es, c'est pas si grave".
Et pour se venger de ceux qui nous rappellent notre propre médiocrité, on a fait du terme "prétentieux" une insulte, y intégrant le sens sous-jacent que celui qui mettait en avant ses propres qualités devait nécessairement en être dépourvu, réduisant celui qui prétend à la valeur à un imposteur infréquentable et inintéressant.

L'homme étant ce qu'il est, un animal social, il a voulu tendre vers l'appréciation d'autrui et l'insertion sociale au point de se persuader que c'était justement la considération des autres qui faisait sa valeur. Quoiqu'il fasse, la réussite est de se faire bien voir, de chercher la reconnaissance de ses pairs, de se faire apprécier. Et plus on plaît à un nombre important de gens, plus la réussite est grande. D'où l'intérêt de ne pas se mettre du monde à dos en évitant de sortir des clous de la bien-pensance communément admise comme morale et de ne surtout pas sembler rappeler aux gens leur propre médiocrité.
Si on veut se comparer, il s'agit de toujours le faire à son désavantage, en se mesurant à ceux qui nous sont supérieurs, oubliant qu'on cherche à progresser non seulement pour se rapprocher des plus grands, mais aussi pour s'élever au-dessus de la masse. Quand le vainqueur parle du vaincu, il doit toujours souligner les qualités dont il a fait preuve, et ne surtout pas mentionner la seule information utile pour progresser : ce qui lui a manqué pour triompher.
Et pourtant tout le monde se prétend libre-penseur, chacun - souvent pris en défaut sur une détestable habitude et réagissant au reproche comme un gamin - a déjà dit au moins une fois "Moi je m'en fous de ce que pensent les autres, je fais ce que je veux d'abord" ou encore "Ouais peut-être mais moi au moins...". Même si certains acceptent l'idée générale qu'être plus valeureux c'est être différent - être mieux que les autres -, la plupart du temps il suffit qu'on fasse remarquer sa supériorité dans un domaine pour que toutes ses origines (la volonté, le travail, la persévérance, le talent, le courage, l'originalité...) soient immédiatement oubliés.

L'égalitarisme ambiant alimente aussi ce phénomène. Engoncés dans une conséquence de l'emploi abusif du terme "égalité", nourris par l'idée que nous sommes peu de choses, pour ainsi dire rien, la croyance s'est généralisée que nous nous valons non seulement dans cette nullité, mais par elle.
Mais non, tout ne se vaut pas, tous ne se valent pas. Cette conception qui veut que, dans cette égalité universelle, je puisse valoir un Vinci ou un Einstein est tout aussi ridicule et vaine que la prétention de certains abrutis à me valoir - à valoir mieux que moi même - juste en me traitant de prétentieux (merci à Vaquette pour les arguments de ce paragraphe, je reconnais quand je plagis).

Tu me diras que la vraie valeur n'a pas besoin d'écho pour être reconnue et qu'elle finira par éclater au grand jour, qu'on peut tout à fait concilier valeur et modestie. Je te traiterai alors de doux idéaliste - les gens sont souvent trop occupés pour rechercher la valeur et trop médiocres pour la reconnaître si on ne la leur montre pas du doigt - et t'expliquerai d'autre part que ce serait se complaire dans une hypocrisie et une lâcheté dont je souhaite me détacher, que je ne veux surtout pas, renoncement après renoncement, voir devenir des constantes de ma personnalité.
J'aime à croire que cette exigence et cette honnêteté (ce courage aussi), et par elles cette intégrité et cette fiabilité, sauront (savent déjà) me valoir l'estime de certains de mes contemporains - au moins quelques-uns, peut-être plus valeureux que les autres pour le coup, peut-être plus influençables face à mes beaux discours - et me préserver ainsi de la solitude, dont mes tendances misanthropiques ne suffisent pas - je l'avoue - à me rendre l'idée supportable.

"Mais au fait, à quoi est-ce que tu prétends au final ? Tu fais quoi de si merveilleux, à part ta branlette pseudo-intello en style je-me-la-pète-littéraire dans un blog perdu que personne lit ?"
Je prétends à la pensée critique, à la curiosité, à l'ouverture d'esprit (la vraie, pas celle qui consiste à ne pas avoir d'avis ou d'opinion), à la remise en question (je sais, à me lire c'est pas évident, c'est parce qu'en général la remise en question je m'y adonne avant d'écrire, avant de répandre mon avis). J'ai la prétention d'avoir mes idées à moi, de me les être construit moi-même, pas sans influence bien sûr, mais d'avoir toujours remis en question ce qu'on m'avait inculqué avant de le digérer bêtement, et aussi d'en avoir trouvé une bonne partie tout seul. J'ai la prétention d'être plus intelligent et plus cultivé que la médiane, et même que la moyenne (et c'est pas du luxe quand on voit la différence entre ladite moyenne et le haut du panier). Je prétends à l'érudition, à la sagesse. Pas tout de suite bien sûr, mais je veux suivre une courbe qui finirait par m'y emmener, dussé-ce être après ma mort. Je prétends à l'intégrité, à la fiabilité, à la nuisance minimum nécessaire à ma propre jouissance (ça aussi j'y arriverai). Je prétends à terme au bonheur, dans la plupart des acceptions : à la liberté, au confort, à l'amour (le vrai ?), à la reconnaissance, à la noblesse, à la capacité de ne pas laisser ma lâcheté et ma paresse me dicter ma conduite, à la poursuite d'un but, à la vertu, à la plénitude du corps et de l'esprit, sinon toujours le plus souvent possible. Je prétends vivre au moins aussi heureux que toi, plus même si possible, et un vrai bonheur, pas basé sur l'illusion, la trahison ou le mensonge, sans avoir à assumer chez moi ce que je dénonce chez les autres, en sachant profiter de ce que j'ai sans jamais m'en contenter. Je prétends à la progression. Je prétends à être mieux que toi, pas forcément tout de suite, pas forcément en tout, mais en ce qui compte, en ce qui comptera.

dimanche 5 juillet 2009

Liberté de choix, couple et séduction

Jusqu'à une époque récente, même au sein de nos contrées occidentales, les modalités d'une mise en ménage reposaient, pour ainsi dire, sur le quasi-monopole de l'autorité. Cette autorité pouvait (et peut encore, dans certaines régions) provenir des parents, du seul patriarche, du chef du village, de la marieuse, ou encore du seigneur.

Avec l'essor du libéralisme, la révolution industrielle, l'exode rural et l'avènement du salaire, les jeunes se sont enfin vus offrir la possibilité d'une émancipation du joug des cellules d'autorité traditionnelles (famille, Église, village...), sans pour autant être condamnés à l'errance et à la misère, comme la conscience collective de l'époque le prévoyait pour ceux qui, osant braver l'ascendance, se retrouvaient déshérités et chassés du foyer. Ainsi affranchis du poids d'obligations sociales millénaires, ils ont pu inventer le couple moderne, basé sur l'amour, et surtout les modes de séduction modernes, basés sur le libre choix. On pourrait en quelque sorte appeler ça un libéralisme amoureux.

Et l'application de ce libéralisme amoureux fut accompagnée, comme celle de tout système, de son lot de dérives et désagréments - ceux-là même par lesquels les représentants de l'autorité maritale justifiaient leur ingérence. L'univers du couple et de la séduction devint donc le monde de la jungle que l'on connaît aujourd'hui. La régulation commença à se faire suivant l'offre et la demande, comme pour tout système libéral. Ceux que l'hérédité, l'effort en ce sens ou encore la chance avaient doté des plus grandes qualités (beauté en accord avec les canons du moment, intelligence, pouvoir, beau-parler, aptitudes sociales...) devinrent très courtisés et à même de jouir d'une grande liberté de choix, susceptibles d'obtenir à leur guise les partenaires les plus intéressants, et même de se payer le luxe d'en changer couramment. À l'inverse, les indigents de la séduction, trop laids, excentriques ou timides, se retrouvèrent condamnés à l'effort et au dépassement de soi pour arriver à faire leur trou, à ne pas se faire ravir leurs cibles sans peine lors des parties de séduction, à conserver la fidélité et l'intérêt de leurs conquêtes malgré leur relative liberté de succomber aux nombreux prédateurs alentour.

Il est probable aussi qu'on dénonçât une recrudescence des abus, au sens du viol des droits naturels, notamment sous la forme de viols tout court, accusant cette nouvelle libération d'encourager, par la déréglementation et la permissivité, les pires outrages. Néanmoins, comme pour les accusations analogues qu'on dirige vers le libéralisme économique, celles-ci ne furent que vaguement fondées, oubliant les abus en la matière qui avaient été le fait de l'autorité, encouragée justement en cette voie par cette sur-réglementation.

Et force est de reconnaître que le système de gestion autoritaire des mariages comportait bien des avantages apparents, ne serait-ce que du point de vue de l'"égalité" (en son sens galvaudé, d'où les guillemets). Celui qui naissait laid - vraiment laid, au point qu'il n'aurait aucune chance de tirer son épingle du grand jeu de la séduction - pouvait compter sur la cellule autoritaire traditionnelle pour lui trouver une femme. C'était moins les attributs dont il était doté ou non que la capacité qu'il avait à se faire bien voir et à faire reconnaître au village l'ensemble de ses qualités qui déterminerait d'ailleurs le choix qu'on ferait pour lui de sa compagne. Celle-ci pourrait même être une perle de séduction. Et ainsi, de la même manière que le socialisme veut forcer le riche à faire profiter le pauvre de sa fortune, on forçait la belle à faire jouir de ses charmes l'indigent amoureux.
Chacun était sûr, à condition de se plier à certaines exigences des décideurs, de trouver une compagne, et les mesures prises par le pouvoir matrimonial pour protéger le système et s'assurer que sa répartition autoritaire serait respectée (obligation de virginité jusqu'au mariage, de fidélité à partir) avaient le mérite, au moins en apparence, de limiter les abus de débauche et d'immoralité.

Et pourtant, malgré les avantages apparents de l'ancien système, plus sécurisant, et l'aspect repoussoir d'un système plus chaotique basé sur la liberté de choix des individus, quasiment aucun de ceux qui ont connu le dernier ne voudrait, sous quelque prétexte, revenir au premier. Parce que la liberté est bien plus importante au bonheur de chacun que la sécurité ou une prétendue égalité. Parce que ce qui apporte du bonheur dans l'amour, c'est notamment de savoir qu'on doit celui de sa compagne (ou de son compagnon) à ses propres qualités, à sa conquête, et pas à l'attribution arbitraire d'une autorité quelconque.

Alors pourquoi sommes-nous incapables aujourd'hui d'appliquer ce même raisonnement aux diverses problématiques politiques auxquelles le libéralisme offre une solution - certes pas parfaite, aucune ne l'est - du même ordre, comme l'économie par exemple ? Pourquoi ne voyons-nous pas que le prix des prétendues dérives de ce système est beaucoup moins élevé que celui de sa triste alternative autoritaire ? Les réponses à ces questions sont bien trop complexes et nombreuses pour être argumentées en une phrase en cette fin d'article, et je les développerai dans des publications ultérieures. Mais si tu veux chercher par toi-même, je te donne une piste ; cherche du côté des penchants humains suivants : lâcheté, bêtise, mauvaise foi, imposture, manipulation de masse, sentimentalisme, populisme, raccourcis intellectuels, inculture, incapacité à la remise en question...

mardi 30 juin 2009

Jouons avec les mots

Aujourd'hui, je te propose un petit jeu qui n'a, comme à mon aimable coutume, rien d'innocent.

Je te propose donc de lire la phrase suivante, tirée de l'excellent chapitre 4 du non moins excellent (au moins le début pour ce que j'en sais) livre du trop méconnu Tristan-Edern Vaquette :
"Mais sois certain aussi que je n'appartiens pas non plus à la race des cons qui tapent. Tu sais, l'ordure, comme tu dis, (...) lui aussi, il est persuadé, de bonne foi, que le Juif est responsable de ses malheurs, que c'est un salaud qui (...) est aujourd'hui responsable de son indigence financière, à lui, à défaut de son indigence intellectuelle dont il n'a pas conscience."

Maintenant, manifeste bruyamment ton accord avec le discernement lumineux de ce constat dressé de la motivation antisémite, et la légitimité du mépris exprimé pour le genre de raisonnements à l'origine de ce courant.

Puisque nous sommes d'accord, je vais maintenant te demander de relire ce texte, mais cette fois en remplaçant le mot "Juif" par le mot "patron", ou "bourgeois", ou bien encore "système capitaliste". Le jugement porté par la phrase ainsi obtenue t'inspire-t-il la même adhésion ?

Si la réponse est oui, désolé, soit je viens d'effectuer enfin ma première vraie conversion, soit tu as perdu ton temps à lire ces lignes. En revanche, si la réponse est non, prends garde ! Il est plus que probable que tu sois atteint de la même maladie que les antisémites de l'époque et que, cédant aux sirènes de l'air de notre temps de crise et à la tentation de la désignation d'un bouc émissaire, tu aies rejoint les rangs gonflants de l'anticapitalisme, de la même manière que des millions d'autres avaient rejoint ceux de l'antisémitisme.

Et avant que tu ne m'abreuves de toutes tes justifications, défendant avec véhémence la différence de légitimité entre les deux points de vue, demande-toi donc si des arguments du même acabit que ceux que tu me prépares n'ont pas, eux aussi, été employés en leur temps pour rationaliser la haine raciale. Demande-toi si les clichés qui circulaient alors sur la malhonnêteté des Juifs n'avaient pas la même base de vérité que ceux qu'on prête actuellement aux patrons (à savoir, comme pour toute généralisation, quelques exemples malheureux). Quant à venir m'expliquer que je ne suis qu'un sale con de comparer la révolte légitime de nos frère opprimés à des idées ayant causé le plus grand génocide de l'histoire, tâche de te souvenir que l'anticapitalisme (car le socialisme n'est-il pas né à la base, de l'opposition au capitalisme ?) a causé un nombre de victimes (même si on ne parle que des morts) qui se mesure par rapport à l'holocauste en facteur multiplicateur.

PS: Désolé pour l'emprunt, Vaquette, mais je suis sûr que, même n'approuvant pas ma thèse, tu ne me reprocheras pas d'avoir ainsi détourné ton art pour pourchasser - certes dans le désert, mais n'est-ce pas là que se retrouvent tous ceux qui s'y risquent de manière un peu trop ostensiblement intelligente - la pensée unique de mise en notre époque.

PPS: Ouais je sais, un point Godwin... Un de plus... En même temps, est-ce que c'est vraiment si ridicule d'employer l'analogie avec le régime nazi quand il s'agit de dénoncer des idées du même ordre, ayant eu sur l'histoire des conséquences au moins aussi désastreuses ?

mercredi 24 juin 2009

Lettre ouverte aux mouvements religieux anti-Hellfest

Bonjour,

En tant qu'ancien catholique ayant conservé une certaine bienveillance envers cette communauté somme toute bien intentionnée, et qu'actuel "métalleux", fidèle au Hellfest depuis ses débuts, il me semble important de vous exposer les quelques points qui me choquent dans votre démarche.

Commençons par le fond.
Vous réclamez l'interdiction d'une institution sous prétexte que ses valeurs sont différentes des (on pourrait même dire "opposées aux") vôtres. Vous contribuez ainsi à entretenir l'image regrettable - et que vous devriez être les premiers à combattre - de la vieille Église inquisitrice et intrusive, convaincue que seules ses propres croyances sont valables et qu'elles doivent en ce nom être imposées par tous les moyens nécessaires.
Quand bien même vous invoqueriez les rarissimes agressions ou viols de sépultures pour habiller d'une certaine légitimité votre démarche, ne croyez pas que vous limiterez ce genre d'incidents en déclarant (et encore moins en gagnant) une croisade contre le Hellfest. Quand le Christ parlait de tendre l'autre joue, il est certes probable qu'il ne s'agissait pas de se laisser marcher dessus bêtement sans réagir, mais il ne fait aucun doute qu'il appelait de ce vœu, par-delà ses fidèles, tous les gens de bon sens à ne pas se lancer dans une guerre revancharde qui ne saurait avoir d'autre conséquence que de nouvelles ripostes.
Vous appelez à l'interdiction en dénonçant les croyances satanistes affichées par certains groupes. N'oubliez pas que les lois républicaines garantissent en France la laïcité et la liberté de culte. À cet égard, ces "croyances" ont non seulement tout autant droit de cité que les vôtres, mais il semble de bien mauvais goût d'attaquer le versement de subventions publiques (dérisoires par rapport à son coût total) à cet évènement culturel alors que celles-ci entretiennent également vos églises . D'autant plus que les cultes sataniques n'ont souvent rien à voir avec la vénération du "Satan chrétien", ni même avec les Églises chrétiennes. Et vous ne vous en tirerez pas en évoquant les dérives sectaires (ou autres incidents marginaux et isolés) du satanisme, tant le terme "dérisoire" semble presque un euphémisme pour les comparer en importance à celles du christianisme (témoins de Jeovah, mormonisme...).

Vous justifierez sans doute votre démarche par la forme, en invoquant la violence verbale et symbolique des groupes qui vous critiquent, et en soutenant que votre contestation passe par des moyens légaux. Je vous répondrai que cette violence verbale est tout aussi légale, et que vos moyens d'action (chantage à la consommation auprès des enseignes pour faire prévaloir vos idées, pressions électorales, publication d'informations biaisées...) sont tout aussi immoraux. Ne venez pas non plus crier que "C'est eux qui ont commencé" quand les critiques formulées par les groupes anti-chrétiens se réfèrent généralement à des exactions bien plus vieilles que le rock lui-même. Le fait que l'Église d'aujourd'hui refuse d'assumer la responsabilité des horreurs de celle d'antan ne lui donne pas de légitimité à faire taire ceux qui les dénoncent.
De plus, vous vous attaquez à la mouvance "metal" en en affichant une méconnaissance évidente, généralisant à partir du peu d'informations que vous en avez pour entretenir une peur qui n'a pour origine que votre seule ignorance. Revenant du festival, je puis vous affirmer que ce n'est qu'une vaste fête, dont les quelques manifestations vaguement violentes ne dépassent pas, ni en intensité ni en agressivité, celles qu'on peut trouver sur le terrain lors d'un match de rugby. L'entraide dans les pogos, où une dizaine d'individus font immanquablement barrage de leur corps pour aider celui qui est tombé à se relever, l'esprit de fête, de fraternité et de partage qui y règnent partout ne sont pas si éloignés des idéaux que vous prétendez défendre par la censure. Même certains groupes de metal chrétien étaient cette année présent, preuve d'une tolérance bien supérieure pour vos idées de la part des organisateurs du Hellfest que vous n'en affichez pour les leurs, un comble quand on a de vagues notions quant au message du Christ.

Je vous en prie, au nom du respect et de la modernité auxquels semblent désormais aspirer la chrétienté en général et l'Église catholique en particulier, ne soyez plus cette mégère moralisatrice mais aveugle à ses propres défauts. Oubliez votre rancœur face à des insultes qui ne vous atteindraient même pas si vous n'alliez les chercher là où elles sont proférées. Conduisez-vous de manière au moins aussi noble que ces métalleux que vous mettez au pilori : Vivez (c'est-à-dire soyez en désaccord, critiquez si vous le voulez) mais laissez vivre !

mardi 16 juin 2009

Permission et incitation

Pour citer un brillant artiste français que j'ai découvert récemment, et avec lequel j'aime à me constater certaines convergences, "La confusion des termes est l'arme préférée de l'imposture". Or aujourd'hui, dans la longue liste des notions entre lesquelles mes contemporains font trop souvent l'amalgame, après "Capitalisme et consumérisme", j'aimerais introduire "Permission et incitation". En effet, c'est sous couvert de cette seule confusion, dont j'ose candidement croire que l'entretien n'est pas délibéré, que nos gouvernements, conservateurs comme socialistes, continuent de mener la plupart de leurs politiques de répression aussi inefficaces que nocives envers certains des droits les plus fondamentaux de l'être humain.

Je parle ici de toutes ces lois qui ont pour prétention de nous protéger de nous-mêmes, nous infantilisant et nous déresponsabilisant, entretenant le mythe que c'est à l'état, et non à l'individu, qu'il incombe de répondre des actes prêtant à conséquence sur sa seule personne.
Je parle ici du droit à mourir, refusé encore aujourd'hui même à ceux que les aléas de la vie ont dépouillé de tout ce qui peut faire son charme, emmurés dans la souffrance, avec pour seul horizon l'attente résignée d'un trépas salutaire.
Je parle ici du droit à disposer de sa personne, dont le mépris nous impose de diriger nos consommations vers les seules substances considérées comme non-nocives par des bureaucrates ignares en la matière, conseillés par des médecins alarmistes et parfois guère mieux informés.
Je parle ici du droit à la liberté d'expression qui, sous couvert d'une exigence de respect mutuel injustifiée, ou du ménagement de la sensibilité d'une quelconque minorité socio-éthnique, est désormais réduite à un carcan politiquement correct par de zélés censeurs bien-pensants.
Je parle ici du droit à disposer de son corps qui, dans certains pays pourtant auto-proclamés "civilisés", condamne encore à la maternité des fillettes immatures (ou peut-être pire, à la misère affective d'un orphelinat dispensable des enfants innocents) au nom de croyances dépassées.

Aussi primaire que cela puisse paraître, la plupart de ces abus de la coercition étatique semblent être justifiés par cette unique prémisse aberrante que, même sans permission explicite, la seule absence d'interdiction de ces actes moralement discutables serait inévitablement perçue comme un encouragement à tous les abus. Et le fait est qu'une bonne partie de la population raisonne ainsi.
Je ne sais comment cet amalgame entre ce qui est permis et ce qui est souhaitable a pu corrompre à ce point l'esprit de mes contemporains, mais nombreux sont ceux qui n'auraient aujourd'hui rien contre l'idée d'interdire tout ce qui revêt à leurs yeux une quelconque connotation négative. Ceux-là même qui prêchent la tolérance et la liberté, déformant ces belles valeurs dans le giron gluant de leur indigence culturelle, refusent de tolérer une quelconque liberté qui sorte du carcan moral qu'ils en sont venus à considérer comme universel.
Alors on enterre la liberté de tous au nom des principes de certains, zélateurs de la bien-pensance obligatoire.

Et bien moi, je clame - et je ne suis pas le seul - que le crime sans victime ne nuit pas à la société, et que par conséquent celle-ci n'a ni fondement, ni intérêt à le combattre. Et j'affirme qu'une victime qui accepte le crime de son propre chef, sans y être poussée par la volonté d'un tiers, n'est pas une victime, et que ce crime n'en est par conséquent pas un.

Et non seulement cette fièvre de l'interdiction n'est pas légitime, mais il semble établi qu'elle ne produit guère de résultats. Dans un régime basé sur la raison et la liberté, les individus ne se soumettent guère aux distorsions de la première quand elles ne visent qu'à nuire à la seconde. C'est même régulièrement l'interdiction elle-même qui est interprétée comme une incitation. Force est de constater que, pour présenter des résultats témoignant timidement d'une vague efficacité de leurs politiques répressives, nos dirigeants se retrouvent presque immanquablement contraints de jongler périlleusement avec des données bien apocryphes. Sans doute le seul réel effet produit par l'interdiction est-il finalement d'éloigner l'information fiable des domaines où elle serait le plus salutaire. Si l'on prend l'exemple de la consommation de drogues, force est de constater que les conseils de prudence perdent de leur portée quand ils émanent de l'autorité même que leurs destinataires cherchent à transgresser. L'interdiction légale ne suffit à empêcher aucune action, elle ne fait qu'en augmenter le coût.

Tous ceux qui dénoncent la permissivité en arguant qu'elle laisse la porte ouverte à toutes les dérives, comme si la répression était apte à la fermer, comme s'ils avaient un droit quelconque à imposer leurs discutables convictions morales à autrui, se leurrent donc doublement.

dimanche 7 juin 2009

Couple

Réussir sa (ou ses) vie(s) de couple reste, pour l'immense majorité d'entre nous, un des enjeux principaux de la poursuite du bonheur. Bien que ce ne soit pas nouveau, reposant des mécanismes évolutifs ancrés dans le Vivant depuis l'émergence même des premières formes de vie sexuées, cette problématique est d'autant plus d'actualité dans nos sociétés occidentales modernes, où l'épanouissement personnel de l'individu est au centre des préoccupations.

Et pourtant, malgré toute sa banalité, c'est un concept très flou que celui du couple. La diversité de ses formes rend compliqué d'en appliquer une définition formelle. On reconnaîtra volontiers que les diverses définitions qu'en donne le dictionnaire ("Un mari et une femme, un homme et une femme vivant ensemble." ou encore "Deux personnes liées par un sentiment, un intérêt commun...") sont soit trop spécifiques pour englober l'ensemble des tendances actuelles des relations, soit trop vagues pour nous renseigner sur la vraie nature d'un couple.

Fig. 1

En bon informaticien que je suis, je vais modéliser le couple selon un modèle Entité-Association-Propriété. Je sais, ça parait biaisé comme approche, mais tu vas voir que ça ne devrait pas m'empêcher de dire deux ou trois trucs pas cons.
De ce point de vue, le couple est donc une association reliant deux entités : deux individus. Pour l'exemple, on les prendra de la même espèce, humaine, et de sexes différents (Je parle de ce que je connais, même si le gros de ce que je m'apprête à développer ici sera sans doute également applicable aux relations homosexuelles).
Chacun des individus possède un certain nombre de propriétés qui lui sont propres (physique, intelligence, aspirations...). Je ne m'amuserai pas aujourd'hui à partir en digression ontologique à lister et analyser tout ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes à nos yeux et à celui de nos partenaires (potentiels).
En revanche, je vais m'intéresser ici aux propriétés de l'association, de la relation de couple. J'en compte sept dont voici la liste, triée par ordre chronologique de prépondérance dans le couple moderne typique : Attirance, tendresse, sexe, complicité, sentiments, communication et obligations. L'objet de cet article sera d'ailleurs de revenir sur chacune de ces propriétés une par une, afin d'en fournir une brève analyse.
Évidemment, une relation peut exister entre deux êtres et rassembler ces attributs sans être une relation de couple, de même qu'une relation de couple peut ne pas comporter certaines de ces propriétés (ou plutôt les comporter avec une valeur nulle). C'est pourquoi nous définirons la contrainte suivante sur l'association Couple : L'homme comme la femme considèrent qu'ils forment un couple. On inclut donc les "relations libres" et les foyers polygames, mais ni les "coups d'un soir", ni les "plans cul" (même si beaucoup de ce qui va se dire serait applicable aux "plans cul" réguliers), ni les relations totalement unilatérales.

On obtient donc le schéma en figure 1 (Moment historique : première image dans un de mes articles).
Penchons moi donc maintenant comme promis sur chacune de ces propriétés.

Attirance :
Si elle est souvent physique dans un premier temps, elle peut reposer sur bien des propriétés de chacun des deux individus. On peut ainsi être séduit aussi bien par la culture ou l'humour que par un simple tic de langage un peu original, certaines similitudes ou différences de personnalité avec certains de ses modèles (à commencer par soi-même), ou encore juste par l'attention (ou l'absence d'attention) qui nous sera manifestée.
Cette attirance peut être rationnelle ou non. La femme qui choisit un homme pour son statut social peut, par exemple, le faire par calcul ou de manière totalement inconsciente.
Quoiqu'il en soit, même si elle n'est pas nécessairement de même nature, il vaut mieux que l'attirance soit réciproque, et de préférence à peu près équivalente, sous peine de partir sur une relation très bancale, qui risque de pencher encore plus quand les autres paramètres prendront leur importance.

Tendresse :
Il s'agit ici de l'ensemble des manifestations de tendresse, qu'elles soient physiques (bisous, câlins, caresses...), orales (mots doux, compliments...), ou autres (cadeaux, textos, intérêt manifesté, aller vers l'autre de temps en temps...).
Là aussi on a de tout, ça va du couple platonico-coincé aux indécents qui s'exhibent en permanence entre caresses torrides et sobriquets vomitifs empruntés au règne animal.
Mais c'est sans doute l'aspect sur lequel il est le plus important d'être en phase, dans la mesure où c'est la manifestation ostentatoire (avec le sexe dans une moindre mesure) de l'attirance et des sentiments, le "ciment positif" du couple.

Sexe :
Si j'ai séparé le sexe des manifestations de tendresse, c'est qu'il n'en est pas nécessairement une. Le sexe, même au sein d'un vrai couple amoureux, peut se concevoir sans réelle tendresse, et une relation aux manifestations de tendresse physique omniprésentes peut se retrouver totalement bloquée dès que ça devient un peu trop sexuel. De plus, c'est un aspect tellement important et complexe qu'il méritait une catégorie à part.
Mais c'est une telle obsession (évolutivement logique) de notre culture humaine que bien des mètres cubes d'encre lui ont été consacrés un peu partout, incluant ce blog. Je ne m'étendrai donc guère sur les tenants et les aboutissants d'une vie sexuelle épanouie, si ce n'est en rappelant qu'il ne s'agit évidemment pas d'un aspect à négliger pour un couple se voulant bien-portant.

Complicité :
La relation amoureuse n'est pas nécessairement si éloignée que ça de la relation d'amitié. J'ai même tendance à penser le couple idéal comme celui où les deux amants sont les meilleurs amis du monde.
Je conçois qu'il soit discutable d'avoir accordé à la complicité une telle importance en la hissant au rang de grande propriété du couple, au même titre que les six autres, mais c'est pour moi un tel garant de l'épanouissement qu'il y avait toute sa place.
C'est de plus un excellent intermédiaire entre l'aspect impersonnel de la simple attirance, le côté plus physique et concret de la tendresse et du sexe et le niveau d'abstraction des sentiments.
J'ai tendance à mettre aussi dans la catégorie complicité la connaissance de l'autre, aussi bien des conneries qui font qu'on gagne aux Z'amours que de ses envies et aspirations profondes.

Sentiments :
Si je parle ici essentiellement du si galvaudé "amour", il faut aussi penser à la kyrielle de ressentis qui l'accompagnent couramment : bienveillance, manque, jalousie, euphorie, déprime, admiration, idéalisation...
Je me suis déjà étendu ici sur les sentiments amoureux, leur place dans l'équilibre du couple et l'aspect critique de la première déclaration, et le sujet est par ailleurs largement assez documenté pour que je puisse, ici aussi, m'offrir l'économie d'un développement plus poussé.

Communication :
La communication est au cœur des relations humaines et devait donc être citée ici.
Néanmoins, même si je préfère la mienne exhaustive, c'est-à-dire franche et honnête, je ne pense pas qu'il y ait un modèle de communication de couple qui soit applicable partout. Force est de reconnaître que certains couples se portent bien mieux en ignorant plus ou moins sciemment certaines informations, ou certains des agissements de l'un et de l'autre et que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.
Pour certains réalistes illuminés tels que moi, incapables de se contenter d'une illusion de bonheur basée sur une ignorance sine qua non, il sera néanmoins essentiel d'entretenir une relative franchise et une totale honnêteté quant aux points importants concernant la relation.
Bien sûr, la dimension communication n'est pas à réduire à la communication autour du couple, mais il est assez évident pour tout le monde que deux individus qui n'ont rien à se dire n'ont rien à faire en couple non plus, à moins que ce ne soit précisément ce que chacun recherche.

Obligations :
Un couple se définit également en terme d'obligations. Je considère par exemple (c'est très personnel) qu'un couple qui ne se fixe pas d'obligation de fidélité réciproque peut être, en pratique, réduit à un simple "plan cul" régulier. Ainsi ma vision du couple tourne beaucoup autour de cette obligation de fidélité, qui en devient un axe au même titre que les autres que j'ai développés ici.
Je suis néanmoins, en bon libéral, de ceux qui considèrent que c'est avec le moins d'obligations et de contraintes possibles que l'individu est le plus à même de s'épanouir, et que ça vaut également dans le couple. C'est pourquoi je me limite à la formulation de cette seule obligation théorique.
Mais la pratique est évidemment plus complexe. Même en me restant fidèle, si ma copine se refuse systématiquement à moi, ou ne prend pas la peine de dégager du temps pour me voir, il va en résulter un malaise qui me poussera à mettre un terme à la relation. Et quels que soient les critères, on fonctionne tous comme ça.
Même sans obligations explicites, sans règles précises édictées et acceptées de vive voix par les deux individus concernés, il subsiste toujours un certain nombre de règles tacites, correspondant au respect des attentes et des aspirations de chacun concernant l'autre et la relation de couple en général. Leur viol répété entraînera la rupture presque aussi sûrement qu'une trahison concrète, même si cela générera moins de ressentiment.
Ces obligations ne sont néanmoins pas forcément contraignantes, et le couple idéal est aussi sans doute celui où chacun saura répondre aux attentes de l'autre sans avoir à limiter ses propres aspirations.

Maintenant que nous connaissons les différentes propriétés du couple; on peut en déduire la forme que chacun prendrait dans le couple idéal :
-attirance réciproque et à peu près équivalente;
-manifestations de tendresse de chacun en phase avec les attentes de l'autre;
-vie sexuelle satisfaisante pour chacun, aussi bien sur la quantité que sur la qualité;
-complicité et connaissance réciproque;
-relatif équilibre amoureux, ou alors déséquilibre cohérent avec la personnalité de chacun;
-communication adaptée;
-respect des attentes et aspirations de chacun sans avoir à s'en faire des règles contraignantes.
Évidemment, ce n'est jamais parfait à ce point, c'est pour ça qu'on a inventé les engueulades, les discussions sérieuses, la résignation passive et bien sûr la rupture !

On pourra opposer au couple parfait décrit ci-dessus, le couple pourri qui, ne présentant pas l'adéquation de ces différents attributs, ne repose sur rien de bien convaincant. Son "ciment négatif" peut être le désœuvrement (pourquoi pas rester en couple, j'ai pas grand chose d'autre à faire de mes dimanches soirs) ou la lâcheté (peur de la rupture, de la solitude, de la difficulté de trouver quelqu'un d'autre ou encore de la réaction de l'autre...).
C'est ainsi que de nombreux couples arrivent à "survivre" sans plus (ou si peu) d'attirance, de tendresse, de sexe, de complicité, de sentiments, de communication ou d'obligations réciproques.

Sur ce point précis, j'ai d'ailleurs un point de vue assez fataliste, qui consiste à penser que les efforts nécessaires à l'amélioration d'une situation de couple ne servent qu'à générer de la frustration à moyen terme, et ne sont en rien des solutions. En gros, soit le couple est fait pour marcher, soit non.

Ça ne veut pas dire qu'une relation de couple ne peut pas évoluer. En effet, chacun ayant tendance à adapter son attitude (et parfois même ses sentiments) en réaction à celle de l'autre, une meilleure compréhension par le biais d'une bonne mise à plat des attentes et des sentiments pourra souvent aider certains couples ayant des attentes compatibles à retrouver une forme de bien-être. Mais c'est malheureusement loin d'être toujours le cas.

lundi 27 avril 2009

Légère refonte

Bienvenue sur mon blog.

Si tu viens d'arriver, tu peux choisir de le consulter article par article, en les remontant par ordre chronologique depuis le premier (Que la lumière soit...) en bas de la page septembre, ou tu peux choisir un article dans les catégories suivantes.

Articles par thème :
News/Communication avec le lecteur :
Que la lumière soit..., ...et la lumière fut, Blogosphère, Et si on parlait de moi ?,
Coups de gueule :
Ta machine à tuer, Tous aux urnes !, Rejet de l'intelligence, Rue de Stalingrad, Rien à gauche, rien à droite, je traverse..., Facebook
Politique :
10 bonnes raison de haïr les rouges, Et pourquoi pas le centre ?, Démocratie, Pirates, Libéralisme, Patriotisme et nationalisme, Populismes, Mon utopie libérale, Consumérisme
Réflexions autour de l'actualité :
Matraquage médiatique, Le naufrage de Zoé, Comportement exemplaire, Bien fait !
Délires :
Je suis un rebelle, Crois en moi, Dieu est un système d'exploitation, Religion en kit, C'est chiant!, Et si nous avions créé Dieu
Réflexions diverses :
Je suis d'accord avec moi-même, Débats stériles, Amitié et familiarité, L'acte désintéressé, Le monde est petit, Évolution, Pourquoi ?, Tolérance, Mort et suicide, L'esprit de communauté, Tout et son contraire, Tout le monde se plaint, Saine violence, Musique, goûts et couleurs, Intégrité, Les hommes contre les femmes (et inversement), Notre petit film personnel, Moment d'humilité, Principes, Le déséquilibre amoureux
Religion :
Dieu n'existe pas ?, Je suis agnostique

Explications inutiles et inintéressantes :

Je m'arrangerai pour que cet article reste tout en haut en premier.

Le mythologique lecteur régulier de ce blog remarquera qu'une légère refonte a eu lieu. J'ai supprimé un ou deux articles particulièrement mal rédigés ou manquant de méthode dans le raisonnement (je les ressortirai peut-être un jour en version améliorée), et surtout j'ai réarrangé mon système de classement ci-dessus de manière un poil moins fallacieuse.
Ainsi on retrouve maintenant mes articles classés par thème plus que par type d'article. Le lecteur avisé pourra ainsi éviter mes articles politiques (légion ces derniers temps) s'ils ne l'intéressent pas par exemple.
J'ai en revanche gardé les catégories "Coups de gueule" et "Délires" : dans la mesure où ce sont ceux que je me marre le plus à écrire, je suppose que ça doit être les plus sympa à lire pour se lancer, et je préfère donc les garder à part, même si certains traitent aussi de politique ou de religion.

Bien évidemment, tous les articles sont sujets à être modifiés voire supprimés n'importe quand et n'importe comment, par moi et moi seul, que ce soit pour revenir sur l'orthographe, une formulation un peu lourde, un exemple fallacieux ou même une idée qui viendrait à me déplaire (ou toute autre raison).
Considère qu'il en va de même pour celui-ci.
N'hésite pas non plus à commenter les articles : je suis assez friand de critiques, d'éloges et de débats.

PS: Cet article étant supprimé après chaque nouvelle publication de manière à être recréé et donc à apparaître en premier dans le blog, je vous recommande d'éviter de poster vos commentaires ici et de choisir plutôt un autre article (le premier par exemple).

PPS: Si tu lis une version de ce blog diffusée par flux RSS (sur Facebook par exemple), ce serait cool de laisser tes éventuels commentaires sur le blog original (http://megalomanu.blogspot.com/) et non sur le site de diffusion. Il y en a déjà pas des branlées, alors si en plus on s'amuse à les disperser...

Consumérisme

Il serait temps d'arrêter d'entretenir la confusion entre consumérisme et capitalisme.

Ce n'est pas le capitalisme qui a inventé le consumérisme. Celui-ci ne date pas d'hier et est tout simplement inhérent à la nature humaine. On a besoin de consommer pour vivre, et on aime par définition tout ce qui nous apporte du confort. Comme on ne sait pas de quoi demain sera fait, on a tendance à vouloir stocker et amasser, ce qui tend à poser des problèmes dans la répartition des ressources.
Les problématiques consuméristes remontent à la plus haute Antiquité. La tendance des hommes à gaspiller, à être obnubilés par l'amas de possessions et de richesses, ou encore par la sécurité matérielle est, par exemple, au cœur de bon nombre de récits bibliques qui ne datent pas d'hier. Même sous un système collectiviste, les gens ont besoin de consommer.

La contribution du libéralisme économique en la matière fut, par l'abondance de richesse que son application partielle engendra, de permettre à la nature humaine d'exprimer ces inclinations, de donner libre cours à sa tendance instinctive à la consommation. L'écroulement des systèmes féodaux et le progrès technique et social (qu'on attribue ce dernier au libéralisme ou au socialisme) ont, de leur côté, permis de généraliser le consumérisme et de l'étendre aux masses, au lieu de le réserver à quelques élites possédantes (sans toutefois débouter ces dernières, bien au contraire).

Ce n'est donc pas le capitalisme qui a engendré le consumérisme, mais bel et bien la tendance naturelle de l'Homme à la consommation qui a engendré les moutures actuelles du système capitaliste.

La cause de la confusion, outre l'intérêt des divers extrêmes à l'entretenir, est que le capitalisme contribue à attiser et à décomplexer le désir consumériste. La consommation étant l'étalon par excellence de la bonne santé d'un système économique donné (qu'il soit capitaliste ou non d'ailleurs), ses agents ont tout intérêt à l'entretenir, que ce soit par le biais de la publicité, du marketing, de l'innovation ou encore en faisant de certains produits un élément essentiel de la représentation sociale des individus (signes extérieurs de richesse ou même symboles d'appartenance à telle ou telle "tribu" anti-consumériste).
Et encore, parler de décomplexion me paraît abusif, en particulier dans notre beau pays où la consommation de masse garde l'image du démon tentateur, dont nous ne sommes que les victimes forcées, et certainement pas les instigateurs finalement satisfaits mais incapables de le reconnaître.

Pourtant, après déjà un moment passé à me faire en quelque sorte l'avocat d'une certaine forme de consumérisme, je n'ai reçu que trois réels chefs d'accusation rationnels à son égard. Le premier est écologiste, le second est réactionnaire, le troisième est philosophique.
L'argument écologiste est assez évident en soi : le consumérisme entretient et justifie le productivisme et son cortège d'abus environnementaux (surexploitation des sols, empreinte écologique, épuisement des énergies non-renouvelables, etc.). Je ne nie évidemment pas ce problème, même si pour moi, comme je le développerai plus avant dans un article déjà commencé et consacré à la question, la source du problème - et donc sa solution - réside plus dans la démographie que dans la consommation. N'oublions pas que la consommation sert avant tout à la satisfaction de nos besoins primaires vitaux, et qu'on ne peut donc la réduire que jusqu'à un certain point. Même si nous arrivions à diviser par quatre notre niveau de consommation actuel, lorsque la population aurait quadruplé (soit au bout d'une poignée de centenaires à tout casser), le problème se reposerait (le même raisonnement s'applique aussi à d'autres sujets, comme la production de gaz à effet de serre).
L'argument réactionnaire s'appuie sur l'assertion, non-démontrable à mon sens, que le confort matériel et l'exhortation à la consommation nuisent à la production intellectuelle et au maintien de certaines valeurs. Quand bien même cette conception s'avérerait justifiée, j'ai tendance à trouver fallacieux de préconiser une politique de masse qui privilégierait une hypothétique satisfaction intellectuelle subjective sur la satisfaction incontestable de besoins physiques concrets.
Enfin on entend souvent dire que la consommation est futile, vaine, ce à quoi je réponds que l'existence est futile et vaine, et que nos possessions ont au moins le mérite d'une existence palpable et transmissible à l'heure de notre trépas, ce qui n'est le cas ni de nos relations, ni de nos sentiments.

Mais cette aptitude à la consommation, tant décriée par les ingrats qui en jouissent si naturellement sous nos latitudes, est justement ce qui fait défaut et provoque le malheur des sociétés qui en sont privées, par exemple par un système économique inadapté. On ne me fera pas croire que les vagues de migration de Cuba vers les États-Unis ne charriaient que des réfugiés politiques, ni que le rideau de fer n'a été construit que pour retenir les camarades qui n'aimaient pas le rouge. La privation de consommation correspond tout simplement à ce qu'on appelle couramment la misère.

L'homme a besoin de consommer, que ce soit pour vivre ou pour être heureux (même si, comme toute obsession, celle de la consommation l'éloignera du bonheur, de même que la modération en la matière ne lui suffira pas pour l'atteindre).
On ne m'ôtera pas de l'idée que toute tentative d'application d'un système basé sur l'idée que l'homme peut aller à l'encontre de sa nature profonde, notamment en la matière, est vouée aux conséquences les plus désastreuses.

Est-ce que ça implique pour autant qu'on doive consommer n'importe comment, à tort et à travers, sans limite ? Évidemment non. C'est impossible, que ce soit à cause de la raréfaction du non-renouvelable ou des limites de production du renouvelable. Mais le libre marché reste, d'expérience humaine, le moyen le plus efficace de gérer la rareté des choses, en adaptant leurs prix au rapport entre ladite rareté et la demande.

vendredi 24 avril 2009

Facebook

Ce soir j'ai envie de gueuler. Oui, comme ça, ça arrive des fois, la fatigue sans doute...
En fait j'ai envie de haïr. On ne le dit pas assez, la haine est un sentiment très sain, source de beaucoup de satisfaction. Après tout, la haine, plus sans doute que tout autre sentiment, sait tellement bien nous éloigner de nos remises en question nombrilistes et nous submerger de la préoccupation de l'autre, de cette charogne qu'on déteste parfois sans savoir pourquoi, si absorbé qu'on est dans l'exécration la plus enivrante.

Manque de pot, en ce moment je ne hais personne. Il y a bien deux ou trois gus qui m'énervent, une poignée de quidams qui me susciteraient le plus profond soulagement en se décidant enfin à n'avoir jamais existé... Mais entre la simple gêne et la haine s'étend le profond fossé du plaisir sadique qu'on éprouve à s'abîmer dans la détestation.

Non, je ne vais pas pouvoir gueuler sur quelqu'un, il va falloir que je me défoule sur quelque chose, un concept quelconque. Mais quoi ? J'en ai un peu marre de m'acharner sur la gauche, la religion ou la bien-pensance pseudo-humaniste. Aujourd'hui je vais faire dans le consensuel, je vais taper sur Facebook !

Facebook, c'est comme TF1, les supermarchés, les véhicules polluants et les cigarettes : tout le monde s'accorde à dire que c'est nul à chier, que ça sert à rien et parfois même que c'est nocif, mais tout le monde y passe sa vie quand même.
C'est donc une cible facile que je choisis ce soir, une cible déjà un peu à terre, avec les marques de godasses encore sur la gueule pour m'indiquer là où je peux taper, les bons arguments pré-mâchés en libre-service.

Franchement est-ce que ce n'est pas criminel, à l'heure actuelle où la procrastination pourrait presque être élevée au rang de problème de société, de mettre entre toutes les mains un outil aussi incroyablement utile à la seule fin de perdre son temps ?
Il faudrait recenser le nombre d'étudiants qui, à l'heure de leur vie où leurs capacités physiques et cérébrales sont à leur potentiel optimum, où ils peuvent retenir et mémoriser des milliers d'informations intéressantes, faire du sport ou encore voyager, viennent s'échouer lamentablement sur la page blanche et bleue, dilapidant leur précieux âge d'or en distractions désinvoltes et commentaires oisifs, et ce bien souvent à la veille même de leurs examens.

Un truc qu'il faut savoir, c'est que j'y passe des heures sur cette connerie. Que celui qui ne s'est jamais repris plusieurs fois dans la soirée à fixer bêtement sa liste de contacts MSN me jette la première pierre; je scotche abusivement devant ma page de news, rafraîchissant régulièrement à l'affût de... à l'affût de quoi d'ailleurs ? Du dernier bon mot d'un cousin lointain ? D'une vidéo vaguement marrante ayant déjà fait plusieurs fois le tour du Web ? D'un évasif morceau de vie offert au commentaire par un flirt du moment ou une conquête potentielle ? Du résultat du test qui va me révéler avec lequel des personnages de Grey's Anatomy un copain de vacances à demi oublié a le plus d'affinités ?
Je me suis même retrouvé à avoir des conversations avec moi-même, commentant mes propres commentaires ! Faut quand même être sacrément désœuvré, alors que, et je m'en presque-plaignais ici-même il y a peu, il y a plus à découvrir en ce bas monde qu'on est même seulement capable de l'appréhender.
Tandis qu'il m'est donné plein loisir de m'indigner devant le spectacle pathétique de ceux de mes proches qui rejoignent les groupes leur promettant monts et merveilles s'ils invitent tous leurs amis, ou encore deviennent fan de "Bizoux et kalins" et autres "la pai c mieu kla guère !!", je dispense moi-même mes commentaires et bons mots, qui doivent bien eux aussi sonner creux et paraître insipides et risibles, au moins à un probable autre désœuvré encore plus prétentieux et égotique que moi, alimentant ainsi la grande chaîne du ridicule 2.0.

Bon, ne jetons pas bébé avec l'eau du bain, c'est une perte de temps qui a le mérite d'être sociale, ça permet d'échanger quelques photos... Et puis ça aide vraiment à garder des contacts. Assez peu au final, pas forcément ceux qui comptent, mais les vraies affinités, les gens dont on commente volontiers les frasques et qui s'amusent des nôtres en retour, et cela dans la durée.
Comme bien souvent, ma critique un peu facile n'est pas dépourvue d'une certaine dose d'affection - si j'ose dire... - et d'un intérêt pas complètement malveillant.

Et non, même pour toi Facebook, ce n'est pas encore ce soir, malgré toute l'envie qui m'en étreint, que j'arriverai à éprouver de nouveau cette vraie, belle haine gratuite.

jeudi 19 mars 2009

Le déséquilibre amoureux

Parmi les nombreuses foutaises que la culture Disney semble avoir inculquées à notre conception du couple et de l'amour, il en est une qui résiste particulièrement mal à l'épreuve du temps. Il s'agit évidemment du "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfant". Nous sommes tous familiers du fait que, même dans les rares cas où les deux personnes qui forment un couple peuvent être assimilées au Prince et à la Princesse de nos contes de fée, le bonheur initial s'effrite rapidement.
S'il est de bon ton d'incriminer en la matière le phénomène de familiarité, auquel j'ai déjà consacré un article, ou plus largement celui de lassitude (puissant moteur de l'action humaine sur lequel je reviendrai longuement dans un article ultérieur), le facteur sur lequel j'aimerais m'attarder ici concerne ce que j'ai nommé "le déséquilibre amoureux".

J'ouvre une parenthèse pour préciser qu'une fois de plus, le contenu de cet article repose, à quelques références près, sur ma seule analyse personnelle. Il est donc tout à fait envisageable (et même hautement probable) que d'autres études menées par des professionnels en la matière aient déjà identifié ce phénomène, lui ayant sans doute attribué un autre nom, et en ayant fourni une analyse bien plus complète et pertinente que la mienne. Quoiqu'il en soit, je ne suis pas là pour faire du recopiage, et tu vas donc devoir subir les affres de l'impertinence de mon analyse ignare.

Ce phénomène peut être ramené à une phrase par la sagesse populaire, le fameux "Dans un couple, il y en a toujours un qui aime plus.", ou encore par cette citation de Desproges : "En amour on est toujours deux : un qui s'emmerde et un qui est malheureux.".

Évidemment, ces formulations sont un peu simplistes. D'autant qu'on met beaucoup de choses dans le mot "amour". Déjà, on parle aussi bien d'amour pour désigner ce que l'on éprouve pour ses enfants que pour sa femme, alors que les deux sentiments sont extrêmement différents et ont des implications très distinctes.
Mais même pris dans le sens de l'amour sensé unir deux conjoints, ce fameux prémisse rendu, dans le conscient collectif, indispensable à la vie en couple, ce terme est devenu un véritable fourre-tout. La pression autour de cet amour qu'on doit impérativement ressentir est telle que chacun finit par qualifier ainsi son attirance pour l'autre, quelle que soit la nature précise de son ressenti.
La déclaration d'amour a pris un certain nombre de rôles dans le couple. Le premier "Je t'aime" sert à formaliser l'entrée dans une relation sérieuse. Il devient ensuite un rituel destiné à rassurer l'autre sur la solidité de la liaison. Soit il est usé à tout bout de champs (fins de conversations téléphoniques, guise d'au revoir...) et sa disparition devient alors un symptôme d'une crise grave, soit il est employé avec parcimonie et sert ponctuellement pour calmer certaines tensions (période de doute, crise de confiance, baisse d'attention...).
La réciprocité de cette déclaration n'est pas vraiment optionnelle sur le moyen terme pour un couple se voulant "en bonne santé". Sans doute plus encore que le premier baiser, la première déclaration est déjà un sérieux générateur d'une asymétrie qu'il faut vite combler pour le bien du couple.

L'asymétrie est également rendue inévitable par les différences entre les deux sexes – dans les couples hétérosexuels tout au moins. Que la cause en soit culturelle ou naturelle, l'Homme et la Femme ont des psychologies différentes, des manières de concevoir la vie et les relations différentes, des ressentis différents. L'amour qu'un homme peut ressentir pour une femme est très probablement différent de celui qu'une femme ressent pour un homme. Partant de là, il est d'autant plus probable que l'amour qui unit deux homosexuels soit également différent de celui qui unit un homme et une femme, mais aussi selon qu'il s'agit d'un couple d'hommes ou de femmes.
Bien sûr, ça n'implique pas, comme certain(e)s le prétendent bêtement, que les femmes aiment systématiquement plus que les hommes, même si la tendance générale est peut-être en ce sens. Quiconque a déjà connu un homme éperdument amoureux ou une femme indifférente – ni l'un ni l'autre ne sont vraiment rares – en conviendra.

D'ailleurs "différent" n'implique pas forcément que l'un soit supérieur à l'autre, ça peut aussi vouloir dire "incomparable". Et dans un sens c'est sans doute vrai.
Seulement dans les faits, force est de constater que cette différence est quasi-inévitablement porteuse de déséquilibre. Je n'ai jusqu'ici trouvé aucun exemple d'équilibre parfait à moyen terme ailleurs qu'au cinéma, que ce soit dans ma propre histoire sentimentale ou dans mon entourage proche.
Évidemment, on a tous en tête les exemples caricaturaux de couples où la femme porte la culotte, ou bien où elle est soumise à son époux au point d'en générer compassion et incompréhension. Mettons de côté les exemples extrêmes pour nous intéresser aux cas d'équilibre apparent. On s'apercevra que c'est souvent le même qui écrit les textos et les attend, qui a des petites attentions pour l'autre, qui ne s'intéresse guère de trop près aux autres représentants du sexe convoité, qui propose l'acte sexuel tandis que l'autre dispose... Même si la balance touche rarement le sol d'un côté, elle n'est jamais vraiment au milieu, et le déséquilibre tend à se retrouver, léger ou accentué, dans plusieurs domaines (communication, organisation de la vie de tous les jours, sexualité, fidélité...).

Bref, les deux composantes d'un couple ne s'aiment pas de la même façon, et cette inégalité est quasi-inévitablement porteuse de déséquilibre. Pourtant, qu'on soit dans un rôle ou dans l'autre, ce n'est pas un constat évident à accepter. En effet, le déséquilibre implique une sorte de "domination amoureuse", aussi subtile soit-elle.
Déjà, au sein du couple. Il est évident que formuler une répartition des rôles dominant/dominé peut être extrêmement humiliant et provoquer de la discorde. Peut-être vaut-il mieux ne pas l'évoquer, à moins que ce déséquilibre ne soit tout à fait acceptable pour les deux partenaires, conscients.
Mais même en dehors, il faut une grosse force d'objectivité pour reconnaître qu'on se laisse dominer par son partenaire, ou qu'on impose à la personne qu'on aime ce type de rapport. Il n'est flatteur de se reconnaître ni dans celui qui aime plus, ni dans celui qui aime moins. C'est un peu, de manière caricaturale, comme avoir le choix entre être un salaud ou un imbécile.
Et je pense que c'est la difficulté de reconnaître cette différence qui fait que la plupart des couples nieront la présenter. Evidemment, ça implique qu'elle ne puisse être mesurée que par des observateurs extérieurs, donc mal informés, et qu'il soit donc impossible de démontrer formellement l'existence du phénomène, et encore moins son caractère universel.

Je suis néanmoins convaincu qu'une des clés d'une relation de couple durable et heureuse – en laquelle je continue à croire malgré tout mon cynisme et mon rejet de la thèse de l'existence d'une âme sœur – réside dans une bonne connaissance du rôle dans lequel on se complait le plus (attention, aussi dur que ce soit à s'avouer, il ne s'agit pas forcément de celui de dominant), du point auquel on veut le jouer (entre celui qui reçoit plus de textos qu'il en envoie et celui qui bat sa femme, il y a une certaine marge), et d'un(e) partenaire avec qui établir cet équilibre à peu près tel qu'il conviendra aux deux.
Cela impliquera bien sûr une bonne connaissance de soi et de l'autre et, comme à chaque fois qu'on veut réussir quelque chose d'important, de nombreux essais infructueux.

mercredi 28 janvier 2009

Rien à gauche, rien à droite, je traverse...

J'en ai plein les couilles de la gauche.
S'il n'y avait le confort électoral bien compréhensible qu'apporte la démagogie sentimentaliste - qui explique merveilleusement la chose - j'en viendrais à me perdre dans l'apparente contradiction que représente la cohabitation de son attitude incessante de contestation pour la contestation avec la bien-pensance sirupeuse de ses élans d'altruisme galvaudé. Si au moins l'affligeant spectacle de sa débâcle récente pouvait me paraître moins avilissant que salvateur pour notre République, je parviendrais peut-être à trouver quelque consolation dans la démonstration navrante ainsi offerte de son ineptie.
Mais quand j'entends tous ces moutons bêler leur indignation que "l'état donne des milliards aux banques", que "le paquet fiscal y'en a que pour les riches" et que "ouin ouin les tests ADN", je finis par en avoir la nausée. C'est sûr que dès qu'il s'agit de se poser en Robin des Bois ou de réveiller le vieux spectre rance d'un racisme galvaudé, ça inspire plus facilement les discours enflammés et ça fait vendre des voix. En revanche, sur les sujets où l'argument sentimental est du côté de la droite, la loi Hadopi ou encore l'audiovisuel public, la contestation se fait tout de suite plus timide. Pour peu que ce soit un peu spectaculaire, avec la Marseillaise sifflée dans un stade mettons, on se met même tous d'accord pour enterrer des libertés fondamentales sur un évènement malheureux.
Notre opposition est abjecte. Faible et en perdition bien qu'opportuniste et démagogique, je ne lui souhaiterais que de pourrir dans l'oubli si elle n'était pas une vague lueur d'espoir, certes chancelante et malsaine, face à l'ignominie du pouvoir en place.
Quand je suis confronté à la gravité des nouvelles concernant notre situation économique actuelle, quand je constate l'ampleur de la récession annoncée, et que résonnent dans ma tête les slogans creux de cet aimant à baffes de Ségolène Royal, exposant son programme outrageusement démagogique et martelant sans honte qu'elle prévoit de financer chacune de ses réformes par le regain de croissance qu'elle entrainera, je m'en choppe presque des élans de gnostisme tant l'envie me prend de louer les dieux pour nous avoir épargné ça. Et pourtant...

J'en ai raz-le-cul de la droite.
C'est comme si chaque mois de son règne marquait une étape supplémentaire dans le recul des libertés individuelles.
Notre Président effectue chaque jour un pas de plus dans l'outrepassement de ses pouvoirs, dirigeant d'une main de fer l'Assemblée Nationale, reniant en bloc le concept de réforme négociée, distribuant tantôt ses commentaires et instructions à la Justice concernant telle ou telle affaire, tantôt ses grâces à ses proches emprisonnés pour détournement de fonds, tantôt la légion d'honneur sans raison apparente à ses relations haut placées à la tête d'un groupe industriel quelconque; et tout cela en jurant, les trémolos dans la voix, de moraliser le capitalisme et de mettre fin aux dérives de l'ultra-libéralisme économique ! Et la presse de fermer sa gueule, sans doute trop occupée à commenter ses frasques amoureuses ou tel mot plus haut que l'autre d'un politique quelconque, ou encore peut-être tremblante sous le joug d'un bras présidentiel qui n'a que trop prouvé à quel point il pouvait être long et rancunier.
Que la France ait pu élire un Président aussi déconnecté des réalités quotidiennes, avec tellement à se prouver, avec un semblant de fond idéologique à ce point au service de son intérêt opportuniste, et ce malgré tous ses échecs et mauvais résultats en tant que ministre, ça me dépasse totalement. Bien que nous n'ayons pas tellement disposé d'alternative sérieuse au second tour, il y avait tout même eu un certain nombre d'étapes qui avaient nécessité de remporter un minimum l'adhésion des Français avant cela.
C'est encore une fois la victoire de la politique politicienne, signe que le destin du système politique français tend vers le "modèle" américain en la matière : sclérosé par les milliards, la bien-pensance et les arguments émotionnels.
Et nous le payons le prix fort. On nous enchaine un peu plus à notre télévision avec la réforme de l'audiovisuel, on punit des stades entiers pour baillonner la liberté d'expression de quelques individus dès lors qu'elle s'attaque aux symboles de l'ordre établi, on règle la question de l'immigration avec un simple quota à respecter, on mène des campagnes télé de dramatisation terroriste à l'américaine, et pour finir on assujettit l'Internet, dernier îlot de liberté plus ou moins hors de portée des censeurs bien-pensant et de l'absurdité des lois politiciennes à effet d'annonce.

Oui, moi qui suis pourtant d'un naturel optimiste, moi qui ne veux voir que le peu de poids que le pouvoir en place a sur nos vies de tous les jours, je suis en pleine crise de désespoir politique.
Certes le centre a eu sa chance, sa petite heure de gloire lors des dernières présidentielles, à tel point que j'ai voulu y croire. Mais il est aujourd'hui en pleine traversée du désert, slalomant sans succès entre les boulets rouges tirés de droite comme de gauche, mené par un capitaine solitaire et égotique qui ne semble voué qu'à dissoudre le peu de crédibilité qu'il lui reste. L'alternative salvatrice d'un semblant de libéralisme, même "encadré", semble aujourd'hui une utopie, vouée à se désagréger ou, pire encore, à s'adapter aux règles du jeu politique, entre complaisance et démagogie.
Tandis que le FN crève en silence (c'est toujours ça de pris), l'extrême gauche, pourtant placée en position de force par la conjoncture, ne parvient qu'à épuiser ses troupes (et moi avec) à coups de grogne incessante et de montée au créneau sous tout prétexte.
Je ne vois rien de bon se profiler, ni par la gauche, ni par la droite. La crise va être longue, et pas seulement en matière d'économie; apprêtons-nous à la traverser avec résignation...