dimanche 6 juin 2010

Le péché originel du féminisme

On a souvent présenté abusivement les féministes comme des bouffeuses de bonhomme, aspirant plus ou moins secrètement à l'avènement d'un monde d'amazones préservé du genre masculin. En réalité, malgré toute la rancœur qu'elles entretiennent à l'égard de l'oppresseur phallocratique séculaire, les féministes considèrent généralement que, dans l'idéal qu'elles défendent, nous autres mâles sommes susceptibles de leur être utiles, et même agréables. Non, malgré tous ces siècles d'exploitation, elles ne réclament pas une vengeance qui inverserait la balance l'injustice, mais justement l'équilibre par l'égalité des conditions entre les deux sexes, et donc entre tous les individus les composant. Au final, le féminisme moderne est un communisme comme les autres. Mais outre l'aspect foncièrement utopique de sa démarche, son erreur fondamentale provient sans doute de la place prépondérante qu'il accorde à une chimère issue de son seul fantasme, et malgré tout désignée comme objectif à imposer.

Le socle de la pensée féministe consiste en son rejet axiomatique de l'image traditionnelle de la femme, envisagée, sinon comme facteur, au moins comme symbole de sa soumission. Il ne peut en soutenir qu'une image dépouillée de tous les attributs coutumiers de la féminité. Il ravale la beauté au rang d'une non-valeur, considérant son exhibition comme un insupportable abandon de toute dignité. Tenir son foyer ou cuisiner pour sa famille ne sont pas les moindres des renoncements qu'il ait à dénoncer. Aujourd'hui, c'est même le principe de la maternité qui est attaqué par toutes les Elisabeth Badinter de la planète.

Au final, ce n'est pas de l'homme que les féministes cherchent à se débarrasser, mais bien de la femme, ou en tout cas de la féminité.

En fait, la réalité de la femme, telle qu'elle a toujours été, est niée comme illégitime et appelée à disparaitre. Non, la femme ne peut pas vouloir être ainsi, et elle ne l'est que par la volonté de l'homme, qui l'a asservie pour la confiner dans le rôle qui l'arrangeait, lui. On pourrait se dire qu'il se fait une bien triste idée de l'indépendance d'esprit des femmes et de leur capacité, jusqu'ici, à résister à la domination machiste, mais que serait une bonne théorie de l'exploitation sans son faible gentil et son méchant fort ?

Si prompt à lever les boucliers contre les clichés, même fondés, touchant à la femme, il n'hésite pas à mettre les pieds dans ceux qui concernent les hommes. Par exemple, bien que les femmes se préoccupent globalement plus activement de leur apparence ou de celle de leur foyer, ménage et superficialité ne seront jamais considérés comme leur apanage exclusif ; en revanche il ne voit pas d'objection à ce que le fait que les hommes sont les plus gros amateurs de pornographie ou de prostitution grave dans le marbre ces pratiques comme des lubies 100% masculines. De toute façon, si on le laissait advenir, l'idéal féministe nous débarrasserait bien vite de cette diversité de préoccupations.

Je tiens tout de même à préciser que je ne m'attaque pas ici au féminisme originel. En tant que fervent défenseur de la vraie égalité, l'égalité en droit, je m'associe pleinement à la démarche des suffragettes et de toutes celles qui se sont battu pour que la loi s'applique de la même façon à tous les êtres humains, indépendamment de leur sexe et de leur race. Ce féminisme-là n'est finalement rien de plus qu'un sous-ensemble du libéralisme.

Mais les constitutions libérales ayant, depuis longtemps déjà, instauré cette égalité en principe fondamental du droit, ce féminisme a triomphé. En France par exemple, il ne subsiste à ma connaissance que deux inégalités de droit entre les sexes. La première touche aux congés maternité, et brime autant les hommes que les femmes. En concernant quasi-exclusivement ces dames, cette loi contribue effectivement à les impliquer (les enfermer ?) davantage dans la dynamique de la fonction parentale, tout en défavorisant l'homme qui souhaiterait prendre ce rôle prépondérant dès les premiers mois de la vie de son enfant. La seconde injustice, nettement plus grave, est à l'avantage des femmes qui, avec la mouture actuelle de l'accouchement sous X et le jeu des pensions alimentaires, sont les seules à pouvoir décider d'abandonner leur enfant, interdisant non seulement aux hommes d'en faire autant, mais les privant même du moindre recours pour seulement contacter leur progéniture dès lors que la mère a opté pour l'abandon.

Maintenant qu'il a atteint sa cible, le féminisme est mort. Ce qu'on nomme aujourd'hui féminisme, c'est autre chose, qui en a usurpé le nom sans même en revêtir un propre, me forçant à ces laborieuses circonlocutions, s'appropriant déloyalement le mérite d'une noble cause.

Ce courant nous vient encore de la gauche qui, comme de coutume, ne prospère qu'en accentuant les antagonismes entre groupes d'êtres humains différents (on lui doit d'ailleurs tellement de ces usurpations lexicales, égalité, solidarité et tant d'autres ayant subi des travestissements analogues sous la plume des mêmes idéologues). Variante de son cousin économiste le socialisme, né de et pour la contradiction, le féminisme a construit son idéal sur la seule opposition intellectuelle à l'image traditionnelle de la femme. Ainsi la femme du féminisme, à l'instar de l'homme nouveau du marxisme, n'est-elle qu'une création chimérique décrétée comme aboutissement inéluctable d'une histoire dont ses théoriciens prétendent entendre le sens, sur la seule base d'une spéculation intellectuelle dépourvue de fondement concret ou raisonnable.

Et comme pour le marxisme, la cruelle réalité continue de se rebeller contre la perfection onirique de ces aimables vues de l'esprit. La femme, même libre et égale à l'homme face à la loi, s'obstine à s'attacher à sa maternité, à son foyer, à son couple. La libération sexuelle n'a pas suffi à anéantir l'esclavage marital. Les jeunes filles en sont revenues, et s'engagent spontanément de plus en plus tôt dans des relations durables. Elles sont encore nombreuses à préférer aller chercher les enfants à l'école plutôt que de jouer leur carrière sur des heures supplémentaires que leurs maris continuent d'effectuer plus massivement. Même indépendantes et célibataires, elles tiennent à rester belles, à rêver devant les magazines de mode et à chercher le prince charmant sur Meetic, si possible assez viril et entreprenant, capable d'autorité et bien placé socialement. Elles continuent à s'orienter massivement vers les formations traditionnellement féminines – santé, lettres et sciences humaines – laissant majoritairement aux hommes la physique, l'informatique, la bâtiment ou la politique.

Certes le dur labeur de propagande des féministes n'a pas été complètement vain, et il existe une population féminine qui se reconnait volontiers dans cet idéal. Certes tout un corpus de justifications idéologiques s'acharne à blâmer la seule domination phallocrate pour les libres choix de ces autres femmes, trop stupides ou faibles pour saisir la portée émancipatrice du mouvement progressiste. Mais cette conception arbitraire de ce que doit être la femme ne pourra guère gagner en crédibilité tant qu'elle demeurera incompatible avec la seule revendication authentiquement féministe : c'est à chaque femme, prise individuellement, de décider pour elle-même de la personne qu'elle veut être et des moyens qu'elle est prête à déployer dans cette perspective. Quand bien même le féminisme moderne aurait réellement deviné la nature profonde de la féminité, il est exclu qu'il puisse la légitimer s'il ne parvient pas à l'imposer autrement que par l'adhésion spontanée des innombrables intéressées. Il en est encore très loin.