Desproges classait les gens qui nous entourent en 5 catégories "qu'on a plus ou moins le temps d'aimer" : les inconnus (il peut s'en génocider des mille et des cent sans qu'on en soit guère affecté), les relations (essentiellement décoratives ou entretenues par politesse, pouvant parfois se muer en amitié), les copains (avec qui on entretient une certaine complicité, allant parfois jusqu'à se comprendre à demi-mot), les amis (qui se distinguent par leur capacité à nous décevoir profondément) et la femme qu'on aime.
Même si personnellement j'aurais rajouté quelques catégories, comme la famille ou les flirts, j'ai toujours trouvé cette catégorisation d'une pertinence remarquable.
Mais ce n'est pas vraiment le sujet que je voulais aborder ici.
Tu auras sans doute remarqué qu'on traite souvent mieux les personnes qu'on connait moins bien. En effet, on a tendance à envoyer plus facilement sur les roses sa propre mère qu'un vague collègue de boulot quand l'un des deux vient nous demander un service ennuyeux; en soirée, on se montre souvent plus agréable et moins agressif dans nos désaccord envers un quelconque quidam avec qui on converse depuis quelques minutes qu'avec un ami de toujours; on retient désespéremment l'horrible pet encore humide du cassoulet de la veille assis dans le tram derrière une inconnue, alors qu'on se laisse aller sans vergogne allongé à côté de la femme qu'on aime.
Ce phénomène, si répandu et pourtant si généralement mal géré, s'appelle la familiarité.
Il a brisé plus de couples que l'alcool et l'impuissance réunis, rendu invivables les réunions des familles les plus unies et, plus grave que tout, lassé les amitiés les plus profondes.
C'est vrai que c'est mal foutu quand on y pense. C'est avec les personnes qu'on connait, et souvent qu'on aime le plus qu'on se comporte le moins bien, qu'on s'engueule le plus, qu'on se laisse le plus aller, qu'on est le moins correct.
Ce quasi-paradoxe est d'autant plus délicat à gérer pour les nombreuses personnes qui peinent à exprimer devant autrui leurs émotions ou sentiments ou qui, comme moi, évitent plus ou moins volontairement de le faire.
Il existe selon moi deux moyens de le combattre : Soit s'efforcer de pas y succomber et d'être d'autant plus adorable avec ceux qui nous sont proches, ce qui a tendance à impliquer d'être aussi plus froid et plus fermé aux inconnus et aux relations, surtout quand on y ajoute un certain degré de timidité ou de misanthropie; soit en faire fi, tâcher de reconnaitre cette familiarité dans les comportements qu'elle induit et ne pas y prêter attention.
Une troisième méthode, un peu plus tordue, consiste à la prendre pour ce qu'elle est, une manifestation, certes involontaire, inconsciente et désagréable, de proximité et d'affection.
Même si j'y suis relativement peu sensible, je remarque aujourd'hui que les pires disputes que j'aie eues, les pires moments que j'aie pu connaitre et les seules larmes que j'aie versées ces dernières années étaient le fruit de cette familiarité.
Desproges distinguait l'ami par sa capacité à nous décevoir. Je distingue les personnes que j'aime en général (que ce soit d'amour familial, sentimental ou d'amitié) par leur capacité à me faire souffrir.
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