jeudi 30 juillet 2009

C'est quoi le bonheur ?

Le bonheur est la pierre angulaire de mes questionnements philosophiques - pas que des miens d'ailleurs -, la seule vraie fin en soi, à la fois but et sens de la vie.
Malheureusement pour ma cohérence idéologique, cette notion de bonheur est assez insaisissable d'un point de vue sémantique, à l'instar de nombre de concepts abstraits tels que l'intégrité que j'ai déjà évoquée, ou encore l'amour sur lequel je n'ai pas fini de revenir. Chacun a sa propre définition du bonheur, parfois même plusieurs. Moi-même j'avoue rester perplexe devant cette question, incapable de me fixer sur une définition donnée, d'accorder une préférence rationnelle à l'une d'entre elles.
Le but de cette page, évolutive au fur et à mesure que j'en découvrirai de nouvelles conceptions, est de rassembler les différents sens qu'on peut donner au mot bonheur, tout en mettant en lumière leurs aspects contradictoires. Je vais tâcher de faire court, cela dit chacune des phrases suivantes mériterait sans doute d'être longuement réfléchie et débattue :

- Le bonheur, c'est une "bonne heure", un bref moment où on se sent bien ;
- Le bonheur, c'est un état de satisfaction et de bien-être durable ;

- Le bonheur, c'est l'absence de souffrance, les petits plaisirs, l'oisiveté, être allongé dans l'herbe à ne rien faire qu'en profiter, le confort ;
- Le bonheur, c'est le travail, le dépassement de soi, le chemin de la vertu ;

- Le bonheur, c'est d'avoir atteint son but ;
- Le bonheur, c'est de pouvoir se passer de but ;
- Le bonheur, c'est de tendre vers un but, et plus ce but est difficile d'accès, plus le bonheur est grand (merci Vaquette) ;
- Le bonheur, c'est de parvenir à ne pas se fixer de but qu'on est incapable d'atteindre ;

- Le bonheur, c'est la conscience des aspects positifs de son existence et la relativisation de ses aspects négatifs;
- Le bonheur, c'est quand on ne se pose pas la question de savoir si on est heureux ou pas ;

- Le bonheur, c'est quand on se sent heureux : il s'agit juste d'un ressenti, une impression dépendant uniquement de sa perception de la réalité ;
- Le bonheur, c'est un état réel, impliquant que tout bonheur basé sur le mensonge n'est pas un vrai bonheur, que la seule illusion du bonheur n'est pas le bonheur ;

- Le bonheur, c'est être content de soi, de la manière dont on a mené sa vie ;
- Le bonheur, c'est de rendre plus belle la vie des autres ;

- Le bonheur, c'est la décharge d'adrénaline, la peur dans la prise de risques ;
- Le bonheur, c'est d'être en sécurité, d'être à l'abri de la peur, de l'angoisse ;
- Le bonheur, c'est d'être capable d'ignorer la peur, même quand on prend des risques ;

- Le bonheur, c'est d'être entouré de ceux qu'on aime, d'avoir de l'amour à donner et à recevoir, d'appartenir à une communauté ;
- Le bonheur, c'est de savoir se suffire à soi-même ;

Certaines de ces propositions en englobent d'autres ; certaines qui semblent contradictoires sont en réalité conciliables, peut-être même toutes en cherchant suffisamment loin. Elles sont toutes discutables, mais je doute qu'une seule soit réellement réfutable.

On remarque quand même quelques grands mécanismes qui se détachent, comme l'opposition entre une conception du bonheur dynamique et une autre statique : le travail contre l'oisiveté, la progression contre l'achèvement, la conscience contre l'ignorance, le risque contre la sécurité, le désir contre la satisfaction. On peut aussi distinguer une vision Certes la catégorie "dynamique" est la plus esthétique, celle qui a toujours été encensée comme le chemin de la vertu, ce qui se justifie assez pragmatiquement. Mais est-elle la voie du bonheur pour autant ?
De même, on peut constater une opposition entre une vision pragmatique ou réaliste d'une satisfaction par l'action et une approche plus idéaliste ou stoïcienne, plus orientée sur la maitrise de ses propres désirs et perceptions.
Enfin on observe l'opposition entre égo et société, qui a marqué les plus féroces luttes idéologiques : individualisme contre collectivisme, capitalisme contre communisme, partisans de la liberté contre partisans de l'égalité.

La coexistence et les popularités respectives de ces conceptions différentes m'amènent à la certitude qu'il n'existe pas une seule voie du bonheur. L'une et l'autre de ces approches pourront être respectivement plus adaptées au bonheur de différents individus, ou encore alternativement à celui d'un individu donné à différents moments de son existence.
Partisan de la modération, j'ai même tendance à considérer, au moins en ce qui concerne mon bonheur personnel, qu'il repose sur un compromis entre les diverses approches, une coexistence simultanée. C'est pourquoi je m'efforce de concilier jouissance et progression, d'alterner travail et oisiveté, de chercher mon profit sans nuire à ceux qui m'entourent et d'avoir un impact bénéfique sur mon entourage - et pourquoi pas sur les sociétés humaines dans leur ensemble - dans la mesure où ça ne me cause pas de tort.

Je conçois tout-à-fait qu'on soit en désaccord avec cette conception, qu'on adopte un point de vue radical, s'auto-dictant l'obligation morale de faire un choix personnel. En revanche, pour peu qu'on adhère à l'idée première que je cherche - sinon à démontrer - à illustrer ici et qui veut que le bonheur soit une notion purement subjective, on sera forcé de reconnaître que nulle autorité ne peut prétendre imposer de règles supposées mener au bonheur de chacun à une société basée sur des individualités distinctes, à moins que les règles en question ne visent qu'à la préservation, pour ces individualités, d'une liberté aussi totale que possible, non seulement dans les moyens de la recherche de ce bonheur, mais aussi dans sa définition.

lundi 20 juillet 2009

Exaltation de la médiocrité et de l'hypocrisie

Le culte de la médiocrité est omniprésent. On le retrouve non seulement dans le succès des jeux télé ou des romans Harlequin, mais aussi dans les exhortations à rester simple, dans la sanctification du modeste (celui qui ne se met pas en avant bien que se sachant valeureux en une hypocrisie vaine que j'ai déjà brièvement dénoncé) ou encore dans le rejet des manifestations d'ego.

Les facteurs en sont assez simples. Outre l'héritage de la philosophie chrétienne qui, sans innocence aucune, promettait les clés du Paradis aux humbles, aux simples d'esprit et aux généreux (surtout envers l'Église), j'impute essentiellement ce phénomène à l'incompatibilité latente entre les appétences sociales de l'individu et la démonstration de sa valeur (au sens large).
Pour faire simple, les gens aiment se complaire dans leur médiocrité et ne supportent pas qu'on la leur rappelle. C'est déjà une impolitesse de pointer du doigt les défauts des uns et des autres, mais alors quand on le fait en soulignant sa propre irréprochabilité en la matière, ça devient carrément un affront. Un reproche quelconque passe beaucoup mieux quand on l'accompagne d'un "Mais moi je fais pareil hein !", sous-entendant "Je ne suis pas mieux que toi", mais aussi par la même, "T'inquiète, reste comme tu es, c'est pas si grave".
Et pour se venger de ceux qui nous rappellent notre propre médiocrité, on a fait du terme "prétentieux" une insulte, y intégrant le sens sous-jacent que celui qui mettait en avant ses propres qualités devait nécessairement en être dépourvu, réduisant celui qui prétend à la valeur à un imposteur infréquentable et inintéressant.

L'homme étant ce qu'il est, un animal social, il a voulu tendre vers l'appréciation d'autrui et l'insertion sociale au point de se persuader que c'était justement la considération des autres qui faisait sa valeur. Quoiqu'il fasse, la réussite est de se faire bien voir, de chercher la reconnaissance de ses pairs, de se faire apprécier. Et plus on plaît à un nombre important de gens, plus la réussite est grande. D'où l'intérêt de ne pas se mettre du monde à dos en évitant de sortir des clous de la bien-pensance communément admise comme morale et de ne surtout pas sembler rappeler aux gens leur propre médiocrité.
Si on veut se comparer, il s'agit de toujours le faire à son désavantage, en se mesurant à ceux qui nous sont supérieurs, oubliant qu'on cherche à progresser non seulement pour se rapprocher des plus grands, mais aussi pour s'élever au-dessus de la masse. Quand le vainqueur parle du vaincu, il doit toujours souligner les qualités dont il a fait preuve, et ne surtout pas mentionner la seule information utile pour progresser : ce qui lui a manqué pour triompher.
Et pourtant tout le monde se prétend libre-penseur, chacun - souvent pris en défaut sur une détestable habitude et réagissant au reproche comme un gamin - a déjà dit au moins une fois "Moi je m'en fous de ce que pensent les autres, je fais ce que je veux d'abord" ou encore "Ouais peut-être mais moi au moins...". Même si certains acceptent l'idée générale qu'être plus valeureux c'est être différent - être mieux que les autres -, la plupart du temps il suffit qu'on fasse remarquer sa supériorité dans un domaine pour que toutes ses origines (la volonté, le travail, la persévérance, le talent, le courage, l'originalité...) soient immédiatement oubliés.

L'égalitarisme ambiant alimente aussi ce phénomène. Engoncés dans une conséquence de l'emploi abusif du terme "égalité", nourris par l'idée que nous sommes peu de choses, pour ainsi dire rien, la croyance s'est généralisée que nous nous valons non seulement dans cette nullité, mais par elle.
Mais non, tout ne se vaut pas, tous ne se valent pas. Cette conception qui veut que, dans cette égalité universelle, je puisse valoir un Vinci ou un Einstein est tout aussi ridicule et vaine que la prétention de certains abrutis à me valoir - à valoir mieux que moi même - juste en me traitant de prétentieux (merci à Vaquette pour les arguments de ce paragraphe, je reconnais quand je plagis).

Tu me diras que la vraie valeur n'a pas besoin d'écho pour être reconnue et qu'elle finira par éclater au grand jour, qu'on peut tout à fait concilier valeur et modestie. Je te traiterai alors de doux idéaliste - les gens sont souvent trop occupés pour rechercher la valeur et trop médiocres pour la reconnaître si on ne la leur montre pas du doigt - et t'expliquerai d'autre part que ce serait se complaire dans une hypocrisie et une lâcheté dont je souhaite me détacher, que je ne veux surtout pas, renoncement après renoncement, voir devenir des constantes de ma personnalité.
J'aime à croire que cette exigence et cette honnêteté (ce courage aussi), et par elles cette intégrité et cette fiabilité, sauront (savent déjà) me valoir l'estime de certains de mes contemporains - au moins quelques-uns, peut-être plus valeureux que les autres pour le coup, peut-être plus influençables face à mes beaux discours - et me préserver ainsi de la solitude, dont mes tendances misanthropiques ne suffisent pas - je l'avoue - à me rendre l'idée supportable.

"Mais au fait, à quoi est-ce que tu prétends au final ? Tu fais quoi de si merveilleux, à part ta branlette pseudo-intello en style je-me-la-pète-littéraire dans un blog perdu que personne lit ?"
Je prétends à la pensée critique, à la curiosité, à l'ouverture d'esprit (la vraie, pas celle qui consiste à ne pas avoir d'avis ou d'opinion), à la remise en question (je sais, à me lire c'est pas évident, c'est parce qu'en général la remise en question je m'y adonne avant d'écrire, avant de répandre mon avis). J'ai la prétention d'avoir mes idées à moi, de me les être construit moi-même, pas sans influence bien sûr, mais d'avoir toujours remis en question ce qu'on m'avait inculqué avant de le digérer bêtement, et aussi d'en avoir trouvé une bonne partie tout seul. J'ai la prétention d'être plus intelligent et plus cultivé que la médiane, et même que la moyenne (et c'est pas du luxe quand on voit la différence entre ladite moyenne et le haut du panier). Je prétends à l'érudition, à la sagesse. Pas tout de suite bien sûr, mais je veux suivre une courbe qui finirait par m'y emmener, dussé-ce être après ma mort. Je prétends à l'intégrité, à la fiabilité, à la nuisance minimum nécessaire à ma propre jouissance (ça aussi j'y arriverai). Je prétends à terme au bonheur, dans la plupart des acceptions : à la liberté, au confort, à l'amour (le vrai ?), à la reconnaissance, à la noblesse, à la capacité de ne pas laisser ma lâcheté et ma paresse me dicter ma conduite, à la poursuite d'un but, à la vertu, à la plénitude du corps et de l'esprit, sinon toujours le plus souvent possible. Je prétends vivre au moins aussi heureux que toi, plus même si possible, et un vrai bonheur, pas basé sur l'illusion, la trahison ou le mensonge, sans avoir à assumer chez moi ce que je dénonce chez les autres, en sachant profiter de ce que j'ai sans jamais m'en contenter. Je prétends à la progression. Je prétends à être mieux que toi, pas forcément tout de suite, pas forcément en tout, mais en ce qui compte, en ce qui comptera.

dimanche 5 juillet 2009

Liberté de choix, couple et séduction

Jusqu'à une époque récente, même au sein de nos contrées occidentales, les modalités d'une mise en ménage reposaient, pour ainsi dire, sur le quasi-monopole de l'autorité. Cette autorité pouvait (et peut encore, dans certaines régions) provenir des parents, du seul patriarche, du chef du village, de la marieuse, ou encore du seigneur.

Avec l'essor du libéralisme, la révolution industrielle, l'exode rural et l'avènement du salaire, les jeunes se sont enfin vus offrir la possibilité d'une émancipation du joug des cellules d'autorité traditionnelles (famille, Église, village...), sans pour autant être condamnés à l'errance et à la misère, comme la conscience collective de l'époque le prévoyait pour ceux qui, osant braver l'ascendance, se retrouvaient déshérités et chassés du foyer. Ainsi affranchis du poids d'obligations sociales millénaires, ils ont pu inventer le couple moderne, basé sur l'amour, et surtout les modes de séduction modernes, basés sur le libre choix. On pourrait en quelque sorte appeler ça un libéralisme amoureux.

Et l'application de ce libéralisme amoureux fut accompagnée, comme celle de tout système, de son lot de dérives et désagréments - ceux-là même par lesquels les représentants de l'autorité maritale justifiaient leur ingérence. L'univers du couple et de la séduction devint donc le monde de la jungle que l'on connaît aujourd'hui. La régulation commença à se faire suivant l'offre et la demande, comme pour tout système libéral. Ceux que l'hérédité, l'effort en ce sens ou encore la chance avaient doté des plus grandes qualités (beauté en accord avec les canons du moment, intelligence, pouvoir, beau-parler, aptitudes sociales...) devinrent très courtisés et à même de jouir d'une grande liberté de choix, susceptibles d'obtenir à leur guise les partenaires les plus intéressants, et même de se payer le luxe d'en changer couramment. À l'inverse, les indigents de la séduction, trop laids, excentriques ou timides, se retrouvèrent condamnés à l'effort et au dépassement de soi pour arriver à faire leur trou, à ne pas se faire ravir leurs cibles sans peine lors des parties de séduction, à conserver la fidélité et l'intérêt de leurs conquêtes malgré leur relative liberté de succomber aux nombreux prédateurs alentour.

Il est probable aussi qu'on dénonçât une recrudescence des abus, au sens du viol des droits naturels, notamment sous la forme de viols tout court, accusant cette nouvelle libération d'encourager, par la déréglementation et la permissivité, les pires outrages. Néanmoins, comme pour les accusations analogues qu'on dirige vers le libéralisme économique, celles-ci ne furent que vaguement fondées, oubliant les abus en la matière qui avaient été le fait de l'autorité, encouragée justement en cette voie par cette sur-réglementation.

Et force est de reconnaître que le système de gestion autoritaire des mariages comportait bien des avantages apparents, ne serait-ce que du point de vue de l'"égalité" (en son sens galvaudé, d'où les guillemets). Celui qui naissait laid - vraiment laid, au point qu'il n'aurait aucune chance de tirer son épingle du grand jeu de la séduction - pouvait compter sur la cellule autoritaire traditionnelle pour lui trouver une femme. C'était moins les attributs dont il était doté ou non que la capacité qu'il avait à se faire bien voir et à faire reconnaître au village l'ensemble de ses qualités qui déterminerait d'ailleurs le choix qu'on ferait pour lui de sa compagne. Celle-ci pourrait même être une perle de séduction. Et ainsi, de la même manière que le socialisme veut forcer le riche à faire profiter le pauvre de sa fortune, on forçait la belle à faire jouir de ses charmes l'indigent amoureux.
Chacun était sûr, à condition de se plier à certaines exigences des décideurs, de trouver une compagne, et les mesures prises par le pouvoir matrimonial pour protéger le système et s'assurer que sa répartition autoritaire serait respectée (obligation de virginité jusqu'au mariage, de fidélité à partir) avaient le mérite, au moins en apparence, de limiter les abus de débauche et d'immoralité.

Et pourtant, malgré les avantages apparents de l'ancien système, plus sécurisant, et l'aspect repoussoir d'un système plus chaotique basé sur la liberté de choix des individus, quasiment aucun de ceux qui ont connu le dernier ne voudrait, sous quelque prétexte, revenir au premier. Parce que la liberté est bien plus importante au bonheur de chacun que la sécurité ou une prétendue égalité. Parce que ce qui apporte du bonheur dans l'amour, c'est notamment de savoir qu'on doit celui de sa compagne (ou de son compagnon) à ses propres qualités, à sa conquête, et pas à l'attribution arbitraire d'une autorité quelconque.

Alors pourquoi sommes-nous incapables aujourd'hui d'appliquer ce même raisonnement aux diverses problématiques politiques auxquelles le libéralisme offre une solution - certes pas parfaite, aucune ne l'est - du même ordre, comme l'économie par exemple ? Pourquoi ne voyons-nous pas que le prix des prétendues dérives de ce système est beaucoup moins élevé que celui de sa triste alternative autoritaire ? Les réponses à ces questions sont bien trop complexes et nombreuses pour être argumentées en une phrase en cette fin d'article, et je les développerai dans des publications ultérieures. Mais si tu veux chercher par toi-même, je te donne une piste ; cherche du côté des penchants humains suivants : lâcheté, bêtise, mauvaise foi, imposture, manipulation de masse, sentimentalisme, populisme, raccourcis intellectuels, inculture, incapacité à la remise en question...