lundi 5 novembre 2007

Mort et suicide

J'ai peur de beaucoup de choses, mais pas de la mort.
En fait, c'est loin d'être aussi simple, j'ai un rapport à la mort assez précis et défini, mais également assez complexe.

Déjà je n'ai pas la prétention d'être exempt de la peur instinctive de la mort, cette crainte ancestrale, ancrée profondément au fond de nos cerveaux reptiliens, cet instinct de survie qui, dans un réflexe d'auto-préservation naturel, nous poussera toujours à choisir la vie dans une situation où l'alternative est la mort, et où on n'a pas le temps d'y réfléchir plus avant.

Mais la peur consciente, cette angoisse constante et viscérale qui semble avoir inspiré les plus grands, de Pierre Desproges à Woody Allen, cette peur-là je ne l'ai pas vraiment.
Ce qui me fait peur dans la mort, c'est plus son annonce, la condamnation, qu'on me donne une idée de l'heure. J'ai plus peur en fait, de me voir diagnostiqué demain un cancer qui me tuera en dix ans que de mourir sous les roues d'un camion dans une heure, même si l'instinct de survie dont on parlait tout à l'heure me ferait sans doute préférer le premier si l'opportunité d'un tel choix se présentait.

De plus, je n'ai pas vraiment de croyance consciente et réfléchie en un quelque chose après la mort.
Tu me diras, en partant du principe qu'elle n'est pas une fin en soi il y a d'autant moins de raison de la redouter, si ce n'est la crainte du Jugement. Mais, dans l'hypothèse d'un jugement de notre vie, tel que prévu par les religions chrétienne ou boudhiste, je refuse de croire qu'on puisse être jugé juste sur ce qu'on a fait dans le cas d'une mort prématurée : ça impliquerait que la date de notre mort soit un critère plus important que notre capacité à faire le bien dans le futur; de même, je rejette cette notion chrétienne de repentir qui suppose que la date de sa dernière confession décidera du sort du défunt pour l'éternité.
Et si, comme ma raison aime à le croire, il n'y a rien après la mort, alors qu'est-ce que ça peut bien me foutre, d'être mort ? Je n'en ai théoriquement rien à tamponner si je n'en ai pas conscience.

Attention, je n'ai pas peur de la mort, ça ne veut pas dire que je n'aime pas la vie. J'aime beaucoup la vie : je savoure au mieux ses aspects positifs et supporte très bien ses aspects négatifs auxquels j'ai été confronté jusqu'ici. Si on me demande mon avis, j'aime autant qu'elle se prolonge le plus longtemps possible.
De toutes façons on va tous mourir, et vu qu'une fois que c'est fait, c'est fait, et qu'on en a a priori plus conscience, peu importe le moment.
Et puis mieux vaut être mort et ne pas en avoir conscience, que d'avoir une vie malheureuse et de le savoir.

Je te vois venir, tu as envie de pousser mon raisonnement jusqu'au bout et de prendre ça comme une incitation au suicide. Evidemment, et j'ai envie de dire comme d'habitude, tu as tort, tu déformes mon propos et tu vas me faire perdre encore un peu plus de mon temps à te détromper.
Le suicide est la solution de facilité, c'est la solution des faibles et des lâches. En fait ce n'est même pas une solution, dans le sens où il ne résoud absolument rien. C'est juste la fuite poussée à son niveau maximum.
Je sais que c'est facile à dire, du haut de mon trône de bonheur facile, vautré que je suis dans les joies de la normalité physique et intellectuelle, de la jeunesse, de l'aisance financière et de la bonne santé. Mais le fait est que la plupart des suicides ont pour moteur, outre une grosse défaillance de la santé mentale, un profond égocentrisme. J'en veux pour preuve la différence de taux de suicide entre les pays riches et les pays pauvres. Les gens ne se suicident pas parce qu'ils sont malheureux, mais parce qu'ils sont incapables de relativiser leur malheur. En comptant 6milliards d'habitants sur Terre, il y en a forcément 5 999 999 999 qui ne sont pas la personne la plus malheureuse du monde. Et je suis sûr que ça doit arriver régulièrement que le 6 milliardième ne se suicide pas pour autant. Quand bien même il le ferait, on n'a qu'à refaire le même raisonnement avec le 5 999 999 998è et ainsi de suite. On finira bien par en trouver un qui ne suicide pas, sinon tous les habitants de la planète seraient déjà morts de leur propre main.
Et je reste persuadé que dans la plupart des cas, même une vie faite essentiellement d'efforts, de souffrance ou d'ennui peut régulièrement être éclairée, pour peu qu'on se donne la peine de les provoquer et de les apprécier, d'éclaircies de plaisir et de joie. D'autant plus que notre cerveau sait s'adapter, et que moins on a de bonheur, plus il est facile de l'atteindre. J'en veux pour exemple la comparaison des Noël où nos parents étaient enfants, où un train en bois suffisait à inonder le foyer de joie et de gratitude, avec ceux d'aujourd'hui, où rien de moins que la dernière console de jeux vidéo hors de prix ne saurait éviter les pleurs et les cris de l'enfant-roi. On arrivera presque toujours à ressentir du plaisir et du bonheur qui, même s'ils ne suffisent pas forcément compenser les efforts et la douleur, sont une raison suffisante pour continuer à vivre.
C'est un point de vue personnel qui peut être contesté ou débattu, mais un peu de positif, même entouré de beaucoup de négatif, vaut toujours mieux que rien du tout.

Ma dernière précision concernant mon point de vue sur la mort et le suicide concerne l'euthanasie.
Même si je suis contre le suicide, je considère que chaque individu devrait avoir la liberté de choisir s'il veut mettre fin à sa vie. Evidemment, dans la mesure où ce n'est pas une mesure révocable, il faut qu'il l'applique en son âme et conscience et qu'il soit bien sûr de ce qu'il fait.
Et je considère que dans certains cas médicaux (handicap important, altération extrême de l'apparence, souffrances chroniques incurables...), le choix de la mort est on ne peut plus justifié. Quand on sait d'avance que chacun des instants qui nous reste à vivre sera souffrance ou que 100% des gens qu'on croisera ne verront en nous qu'un être défiguré et repoussant, ou encore qu'on a perdu l'usage des membres qui nous permettraient de s'adonner à telle passion qui était tout notre vie, alors je ne vois plus le suicide comme une faiblesse.
Mais je trouve aberrant que des gens dans une condition physique telle qu'ils sont parfaitement capables de se tuer eux-même demandent à un tiers de commettre un meurtre en mettant fin à leurs jours. Le rôle du tiers, dans le cas de l'euthanasie d'une personne physiquement apte à la pratiquer elle-même, devrait se limiter à un rôle de conseil, non pas sur la nécessité ou l'utilité de l'acte, cette décision appartenant à l'intéressé et à lui seul, mais sur la manière la plus douce ou la plus agréable à employer.
Dans le cas des gens tellement invalides qu'il leur est absolument impossible de mettre fin à leurs jours par eux-même - je pense notamment aux tétraplégiques - il me parait évident à tous les niveaux (moraux aussi bien qu'économiques) que mourir devrait être leur droit le plus strict et que notre devoir de solidarité est de les aider à y parvenir - quand ils le veulent et peuvent l'exprimer cela va de soit - plutôt que de les condamner à continuer à vivre une vie dont ils ne veulent plus.
En revanche, je ne pense pas que la famille soit apte à prendre la décision de vie ou de mort, même dans des cas médicaux extrêmes. Son seul rôle devrait se limiter à transmettre une éventuelle volonté clairement exprimée par l'intéressé alors qu'il était en mesure de le faire.

En ce qui me concerne, je mandate quiconque lira ceci pour faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre, de manière directe ou indirecte, fin à mes jours dans le cas où je serais dans un état végétatif permanent sans possibilité de rémission totale, amputé ou paralysé d'au moins trois membre ou défiguré de manière importante et non contestable et où, bien entendu, je n'aurais pas la capacité physique de prendre cette mesure par moi-même ni d'exprimer un nouvel avis différent sur la question.
Et pas la peine de faire l'indigné, il n'y a rien de morbide là-dedans, c'est juste une mesure pratique.

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