dimanche 29 janvier 2012

Echelles de valeurs subjectives

Tel que je le conçois, et ce n'est pas une idée particulièrement originale, on peut représenter la moralité de chaque personne par une échelle de valeurs. Selon son éducation, son vécu ou son expérience, elle placera plus ou moins haut tel ou tel bien, et plus ou moins bas tel ou tel mal. Par exemple, si je considère que le meurtre c'est mal, mais qu'il aurait été bon d'assassiner Hitler si ça avait pu mettre un terme prématuré à la Shoah, je place le génocide plus bas que le meurtre sur mon échelle de valeurs : le meurtre est un moindre mal.

Presque toujours établie plus ou moins inconsciemment, sans grande rigueur, au gré des émotions du moment, cette échelle n'est pas forcément d'une grande cohérence : il arrive couramment qu'on dénonce "des conséquences dont on chérit les causes". Elle est également extrêmement variable : on reconsidère couramment la position d'un mal ou d'un bien dès lors qu'on y est exposé concrètement, et on considère différemment la lumière du soleil les lendemains de cuite et les jours de pique-nique. Il arrive que l'échelle d'un individu soit organisée rationnellement en système plutôt cohérent et durable, souvent bâti tout entier autour d'une grande cause (liberté, égalité, prestige national, écologie...) ou en opposition à un grand fléau (racisme, guerre, pauvreté, maladie...), suite à un bouleversement personnel ou à une profonde réflexion philosophique. Il existe ainsi de grands modèles d'échelles sur les grandes lignes desquelles beaucoup de gens se reconnaitront, souvent au sein d'une même école de pensée.

Jusqu'ici, rien que de très consensuel. Si je t'expose ma conception banale des systèmes moraux, c'est pour mieux dénoncer trois erreurs récurrentes chez tout ce que le monde compte de censeurs, d'inquisiteurs et de donneurs de leçons de morale (pour info, ceci n'est pas une leçon de morale, mais une leçon d'éthique, en ce qu'elle t'explique comment concevoir la morale, et non pas quelles valeurs adopter).

La première erreur, c'est de considérer qu'il existe une vérité morale absolue, une échelle de référence vers laquelle toutes nos échelles individuelles doivent tendre. Les penseurs et gourous à s'être écharpés pour imposer leur parangon de moralité sont légion, aucun n'ayant jamais réussi à faire l'unanimité, ni même à imposer de consensus véritablement pérenne à une société donnée. Bien sûr, certains maux sont reconnus comme tels et condamnés par presque tout le monde dans presque toutes les sociétés humaines : meurtre, adultère, etc. Mais dans la façon dont ces maux sont hiérarchisés entre eux, et avec les autres valeurs, dans les justifications qu'on trouve pour les tolérer dans certaines situations, il y a suffisamment de variabilité pour réfuter toute velléité de déduction d'une échelle exhaustive et universelle. Si une échelle absolue existe, on ne sait pas encore la départager ses concurrents et l'adhésion à cette idée doit être regardée comme un pari, une profession de foi.

La seconde erreur, qui est presque une corollaire de la première, c'est de considérer que la morale découle de la raison, qu'on peut déduire des valeurs morales par les seuls exercices du raisonnement et de l'observation. J'emprunte cette conclusion, et le raisonnement qui la soutient, à David Hume. L'observation décrit ce qui est, la morale ce qui doit être ; quant à la raison, elle permet de déduire des conclusions à partir d'énoncés. Or, il n'y a rien dans ce qui est qui nous permette de tirer le moindre énoncé concernant ce qui doit être. Sans point de départ, la raison est impuissante à déduire quoi que ce soit dans le domaine de la morale. Au mieux, l'observation et la raison peuvent nous fournir des moyens en vue d'une fin. Mais le problème de la moralité doit contenir au moins une donnée, au moins une valeur (ultime pour les téléologistes, ou fondamentale pour les déontologistes) à partir de laquelle déduire, parmi les autres valeurs et moyens, ceux qui la servent au mieux. Une telle valeur objective n'existant pas, nos fins, notre moralité, ce dont on considère qu'il doit être, sont définis en dernière analyse par nos passions, par opposition à notre raison. Cette dernière n'est alors qu'un outil fournissant essentiellement des moyens, ou fins intermédiaires.

Il n'y a donc aucun lien nécessaire entre intelligence et moralité (sachant qu'une personne donnée indexe couramment la moralité d'une autre sur la compatibilité entre leurs
échelles de valeur respectives). On ne peut pas déduire la stupidité d'une personne en partant des valeurs, subjectives, auxquelles elle adhère, et inversement. Tout au mieux peut-on considérer qu'une personne moins intelligente aura plus de mal à établir et à se rappeler d'une échelle cohérente et solide, la rendant moins prévisible et donc moins fiable. Mais c'est tout aussi valable d'une personne manquant de confiance en elle ou de volonté.

La troisième erreur, c'est de considérer que tout ce qui est mal doit être interdit et tout ce qui est bien obligatoire. On retrouve notamment cet écueil chez les manichéens, qui ont des échelles aplaties en haut et en bas : des biens et des maux indifférenciés, chacun de leur côté. Dans leur cas, l'erreur est évidente et suffisamment dénoncée : on y décèle aisément les lacunes d'une pensée simpliste et les germes du totalitarisme. Le problème, c'est qu'on retrouve aussi ce travers chez des personnalités beaucoup plus subtiles, avec des échelles présentant plus de nuances. Ceux-ci prétendent qu'à partir d'un seuil plus ou moins arbitraire, on peut et on doit s'efforcer d'interdire ce qu'ils considèrent comme mal ou, pire, de rendre obligatoire ce qu'ils considèrent comme bien. Contrairement aux manichéens, ils sont extrêmement dangereux, et parviennent couramment à leurs fins, notamment quand les grandes lignes de leur échelle sont partagées par les décideurs (incluant, dans une démocratie, la majorité de leurs concitoyens).

Notre hypothèse de départ – la diversité des échelles de valeurs – devrait suffire à les discréditer, d'autant plus qu'elle est très couramment admise. Malheureusement, ils profitent du nombre limité d'alternatives permettant de définir un système de régulation morale. Car, face à d'innombrables échelles de valeur incompatibles, il faut bien, si l'on veut pouvoir fonctionner en société, gérer les conflits entre les individus et leurs échelles différentes. Mais il s'agit là d'un sujet à part entière – celui du droit – que je tâcherai de traiter dans un article ultérieur.

vendredi 23 décembre 2011

Politiquement correct

A-t-on déjà imaginé expression plus moche que celle-ci. J'aimerais répondre que non, mais il semble que dans ce domaine la créativité humaine s'obstine à démontrer son incroyable fertilité. Dommage, car le dégoût du terme me gâte presque le plaisir d'un débat sur les questions passionnantes qui accompagnent le thème : les éventuelles limites de la liberté d'expression, le caractère évitable, ou non, de l'émergence d'une opinion dominante, et la manière dont les forces d'attraction/répulsion qu'elle irradie s'exercent.

Les seuls problèmes de "pourquoi, comment et dans quelle limite la liberté d'expression ?" ne seraient traitées exhaustivement qu'en plusieurs tomes, que je tenterai de résumer dans un autre article. Pour aujourd'hui, je vais me contenter de l'usage actuel (tel qu'on le pratique dans les médias, émissions et chroniques d'actualité) de l'expression politiquement correct.

Aujourd'hui, politiquement correct désigne ce qui se rapporte à un consensus politico-médiatique social-démocrate, centriste, antiraciste, pro-européen, droits-de-l'hommiste et écologiste. Se définissent donc comme politiquement incorrects (finalement c'est surtout eux qui nous intéressent) tous ceux qui, au choix :
  1. contestent l'aspect soit "trop social", soit plus souvent "trop libéral", de la social-démocratie;
  2. sont opposés à l'immigration, "anti-sionistes", prosélytes de la "culture française" et/ou dénoncent les lois mémorielles (incluant bien sûr par hypothèse les "carrément racistes/antisémites");
  3. souhaitent revenir sur l'intégration européenne, réclament plus de souveraineté nationale, souvent avec un renforcement de l'autorité et du rayonnement de la France au niveau international;
  4. n'accordent pas à la définition onusienne des droits de l'homme une valeur de critère moral universel qu'on serait fondés à promouvoir, avec la démocratie, dans toutes les cultures et civilisations;
  5. désapprouvent généralement les politiques écologistes, l'importance accordée aux dangers qu'elles prétendent prévenir ou la philosophie qui les inspirent.

A priori, on se dit que ça devrait représenter pas mal de monde. En pratique c'est un petit peu plus compliqué. Du côté médiatique au moins, quand on parle de politiquement (in)correct, on pense à tout casser quatre chroniqueurs (Zemmour, Ménard, Lévy et Cohen). Du côté politique, on voit déjà un nombre non-négligeable de partis se bousculer pour représenter cette tendance : FN, RPF de De Villiers, Debout la République de Dupont-Aignan, Droite Populaire de l'UMP pour la droite ; Égalité et Réconciliation de Soral, Mouvement des citoyens de Chevènement pour la gauche. Enfin, du côté du peuple, se partageant entre ces petits partis et l'abstention, une part réellement non-négligeable de la population se retrouve dans plusieurs de ces positions, constituant un enjeu électoral de plus en plus conséquent et contribuant largement à asseoir la notoriété des chroniqueurs cités précédemment.

Ceux qui dénoncent l'existence d'un consensus politiquement correct dont il serait médiatiquement et socialement difficile de s'éloigner n'ont donc pas tort : il y a bien, d'une part, un consensus relatif autour de nombreux axes constitutifs du "système", d'autre part un déficit de représentation d'une grande partie de l'opinion dans l'appareil médiatique. Cette dernière ne se reflète que de manière très troublée dans la représentation politique, au travers de partis soit trop petits pour compter, soit diabolisés de manière caricaturale.

Une partie du morcellement de leur représentation politique provient du fait que les politiquement incorrects se définissent essentiellement par opposition. Ils sont d'accord pour dire qu'ils ne veulent pas du système, mais si on en réunit dix dans une pièce, les cinq premiers n'auront qu'une vague idée de ce qu'ils veulent mettre à la place, tandis que l'autre moitié comptera autant d'avis différents que de personnes. On rencontre un problème analogue dans n'importe quelle manifestation ou sur tout panel d’abstentionnistes. C'est ce qui explique que des contestataires d'horizons extrêmement divers se fourrent le doigt dans l'œil quand ils s'imaginent qu'en s'agrégeant dans un vote contestataire FN ou dans la pêche à la ligne, ils fournissent aux dirigeants la moindre indication concernant le cap à suivre pour répondre à leur raz-le-bol.

D'un autre côté, la campagne de discrédit que subissent les partis politiquement incorrects de la part de la quasi-totalité du paysage médiatique, si elle n'est pas concertée, n'en est pas moins très réelle, et a un impact colossal sur eux. Difficile de déterminer si la diabolisation leur ôte plus d'adhésion que ne leur en apportent la victimisation et la lassitude qu'inspire un discours trop convenu mais, pour le meilleur ou pour le pire, elle joue assurément un rôle décisif pour les empêcher durablement de s'emparer du pouvoir (exception faite du cas assez particulier de la Droite Populaire), au profit des grands partis dits "de gouvernement".

Qu'elle soit salutaire ou non, leur critique ne fait pourtant pas honneur au débat public. Elle passe exclusivement par une déformation caricaturale de leur discours, les amalgamant selon les cas avec des beaufs ahuris, de dangereux réactionnaires ou d'ignobles fascistes. Plutôt que de critiquer les points de détails avec lesquels on est en désaccord – dans une opinion souvent nuancée et réfléchie, au moins chez les chroniqueurs, plutôt cultivés et intelligents – on s'en sert pour construire une image d'épouvantail et brûler tout en bloc à coup d'invectives. On laisse la morale moraleuse néo-puritaine trancher a priori un grand nombre de questions qui relèvent du domaine de la raison, sous le prétexte d'avoir décelé le museau du grand méchant loup sous l'habile déguisement de la mère-grand.

"Les beaux principes moraux et les grandes phrases qui m'ont élevé n'ont pas besoin d'être réfléchies pour être vraies" semble ainsi nous brailler le très bobo Bénabar. Une récente chronique de Danièle Sallenave sur France Culture le reprenait alors trop gentiment, rappelant que les contempteurs du politiquement correct avaient raison quand ils appelaient à plus de pensée critique, avant de se perdre regrettablement à distinguer une bonne mouture de ce courant, de gauche évidemment, critiquant le seul affichage superficiel de politiquement correct pour inviter plutôt à l'action, d'une mauvaise, de droite et authentiquement réactionnaire. Si cette opposition est réelle et mérite d'être soulignée, poser cette seule alternative dichotomique, c'est nier l'intérêt qu'elle prête l'instant d'avant aux seuls anti-PC de droite pour le coup : faire vivre le débat en lui apportant de la nuance, des contrepoints et des points de vigilance pour les tenants de l'ordre moral dominant.

Car on peut questionner les dogmes du féminisme sans remettre intégralement en cause l'évolution du statut de la femme. On peut souligner les souffrances sérieuses que causent et que vont continuer de causer ce grand bouleversement, et les mesures qu'on propose pour en forcer la marche, sans pour autant faire l'apologie du viol et du mariage forcé. On peut rappeler les problèmes que posent l'immigration et son cadre général sur un mode moins victimaire, sans faire appel au racisme. On peut même employer le vocable des races humaines sans défendre l'idée d'une hiérarchie, sans rejeter la coexistence, l'intégration ou les interactions les plus poussées. Libéral comme d'extrême-gauche, économiste comme sociologue, on peut avoir beaucoup à reprocher à l'intégration économique européenne. On peut saluer les appels à la liberté d'expression et la condamnation des lois mémorielles d'un Zemmour, tout en notant la contradiction avec le dirigisme qu'il prône dans presque tous les autres domaines. Sur toutes ces questions et bien d'autres, les arguments rationnels et les constats empiriques ne manquent pas pour s'opposer très directement aux lieux communs consensuels, plus souvent issus d'un vernis de moraline que d'une étude rationnelle en profondeur des sujets concernés.

Car, comme le rappelait François Morel, grand contempteur des politiquement incorrects c'est toujours "un peu plus compliqué que ça". Il lève là un débat des plus intéressants sur la granularité de l'information : quel niveau de détail délivrer à l'informé en tenant compte de ses propres contraintes de temps, d'expertise et d'intérêt. Mais il le fait d'un ton déplorablement moqueur vis-à-vis de ceux qui appellent à plus de nuance dans le débat public. Lui semble plaider pour qu'on cesse d'importuner, en leur rappelant les aspérités du réel, ceux qui, comme lui, vont à l'essentiel, c'est-à-dire juste à ce qu'il faut penser, à une sentence morale et engagée, rendue digeste aux grandes heures d'audience par une couche d'humour faisant aussi fonction de bouclier commode face aux accusations de déformation et de caricature. Le courage de l'engagement contre la finesse du propos en somme, mais sans aller jusqu'à s'exposer non plus.

Si je m'attarde sur cet humorion de boulevard dont, après tout, le tort principal est de n'être la plupart du temps drôle que pour sa chapelle, c'est pour évoquer rapidement ce que j'appelle le syndrome Guillon. C'est devenu une pratique courante – particulièrement chez les humoristes étiquetés France Inter, mais pas seulement – de se prétendre sulfureux et caustique quand on relaye sans arrêt les mêmes blagues convenues sur Sarkozy, les racistes, la colonisation, les curés, le fascisme de la droite et les maladresses stratégiques de la gauche. On prétend jouer avec le feu, rompre les grands silences, sonder en éclaireur les frontière de la liberté d'expression, s'attirer les foudres du pouvoir et les remontrances des grands de ce monde, bref être politiquement incorrect, tout en suintant par tous les pores les valeurs du consensus décrit plus haut. Ce qui me donne surtout un prétexte pour leur cracher à la gueule sans trop m'écarter du sujet, mais aussi l'occasion de préciser que ce n'est évidemment pas de ce politiquement incorrect de pacotille, de pure forme, que je traitais jusqu'ici.

Bref, tout ça pour dire que, d'accord pas d'accord avec les contempteurs du politiquement correct, ils ont un rôle essentiel à jouer dans la salubrité du débat public. Leur provocation comme leurs arguments nous poussent à réfléchir, à nous interroger sur ce qui ne tourne pas rond dans le jeu des références circulaires de notre paysage médiatique et intellectuel. La réplique qu'on leur donne (dans les médias, je ne parle même pas des tribunaux), si elle n'est pas dénuée d'intérêt stratégique pour leurs opposants, n'est malheureusement pas à la hauteur d'un débat public dont tous prétendent pourtant chercher à élever le niveau. Il est également regrettable que ces provocateurs présentent une relative unité de points de vue, et que leur visibilité ne s'étende pas aux représentants d'autres courants de pensée minoritaires, pas forcément moins réfléchis et dont les foyers intellectuels peuvent se situer hors de notre petit pays.

mercredi 21 décembre 2011

Un militant, c'est chiant.

Le militant se reconnait à deux caractéristiques :
- son modèle ;
- sa cause, ou son bord.

Le militant se décline en deux modèles, tous les deux chiants.

Le premier c'est le militant agressif. Plus ou moins sûr de lui, on ne sait jamais trop s'il se teste ou s'il s'auto-congratule quand il balance ses positions à la tronche de son monde, moitié provocateur curieux de savoir si on a quelque chose de pertinent à lui répondre, moitié prêcheur convaincu de répandre la bonne parole. Face à sa charge, pas grand chose d'autre à faire que de céder. Contredis-le et il se débattra bec et ongle et finira l'échange d'autant plus incapable de prendre du recul vis-à-vis de sa thèse de départ qu'il aura eu à la défendre. Ignore-le, il sera convaincu que tu n'as rien de pertinent à lui opposer.

Le second c'est le militant intello. Lui son truc c'est pas tellement la castagne, c'est plutôt le blindage. C'est une forteresse de certitudes qui consacre sa vie à se renforcer en se gavant de doc et d'analyses qui le confortent. Ce 'est pas tellement qu'on sache qu'il a raison, mais il s'arrange pour que ce soit trop coûteux et trop chiant, voire impossible, de lui prouver qu'il a tort. Il a réponse à tout, ou au moins une porte de sortie bien commode pour toute question épineuse.

Qu'il soit de son bord ou pas – qu'ils partagent ou non une même cause – un modèle de militant constitue souvent un excellent compagnon de branlette pour un autre militant de même modèle. Les agressifs aiment souvent bien les intellos du même bord ; les intellos appellent les agressifs du même bord des idiots utiles, les méprisent un peu mais sont quand même bien contents qu'ils existent.

Pour les non-militants, les militants peuvent être très sympathiques, intéressants et même rigolos sur tout ce qui ne concerne pas leur cause. En revanche sur leur cause ils deviennent très vite très chiants. C'est comme ça.

La prochaine fois, je t'expliquerai que Un punk, c'est con.

PS à moi-même: Non, on ne peut pas toujours substituer passionné à militant dans ce texte. Un militant espère rallier les non-militants à sa cause, et même si beaucoup de passionnés espèrent convaincre les non-passionnés que leur passion est passionnante, ce n'est heureusement pas généralisable.

vendredi 22 avril 2011

Etat, entre prédation et protection

Une des divergences principales entre libéraux radicaux (libertariens) et étatistes repose sur leurs perceptions respectives de l'Etat. Les premiers insistent sur sa nature prédatrice, tandis que les seconds se concentrent sur ses fonctions protectrices.

Les libertariens rappellent à juste titre qu'historiquement, l'Etat n'est que le produit d'une organisation de la violence et de la prédation, permettant aux prédateurs de s'élever en efficacité jusqu'à un quasi-monopole local en ces matières. En effet, les fonctions régaliennes (armée et diplomatie) auxquelles se limitaient les formes primitives de l'Etat et en dehors desquelles il ne s'étendait guère jusqu'aux derniers siècles, sont apparues avec l'émergence de classes guerrières dont les moyens de subsistance provenaient du pillage et de l'intimidation. Bien des siècles plus tard, les impôts prélevés par la noblesse féodale n'avaient toujours pas d'autre fondement que l'appropriation et la préservation d'un domaine par la violence et le racket, et leur destination se résumait principalement à la guerre et à la défense. Historiquement, l'Etat n'est effectivement que ce "monopole de l'usage de la violence" par lequel les libertariens aiment à le définir.

L'émergence de ses premières fonctions protectrices, à savoir le maintien de l'ordre et la production de droit public, malgré toutes leurs conséquences positives, doit sans doute beaucoup moins à la mise en pratique d'idéaux de justice par des dirigeants de bonne volonté qu'à la nécessité de s'assurer la soumission des peuples exploités. L'expression "un grand pouvoir implique de grandes responsabilités" n'est pas qu'une maxime de morale idéaliste pour super-héros de bande-dessinée : il s'agit aussi d'une nécessité pratique à laquelle les réalités de l'exercice du pouvoir confrontent constamment les puissants. On en a une parfaite illustration dans les quartiers ou les villes dirigées par les mafias, où celles-ci assoient leur domination en suppléant aux fonctions de maintien de l'ordre que l'Etat n'est plus à même d'y accomplir (souvent parce qu'elles l'en empêchent). Elles monnayent leur protection, arbitrent les conflits entre commerçants et font leur possible pour se réserver l'exclusivité des représailles par la violence. Elles se rendent nécessaires, et donc d'une certaine manière légitimes dans l'opinion, en remplissant une fonction qu'elles se réservent, tout en limitant la possibilité d'émergence, au sein de la population dominée, de concurrents inquiétants dans le domaine de la violence, et donc d'une éventuelle résistance. Les prises de contrôle par les mafias de certains quartiers ou de certaines villes d'Italie ou d'Amérique du Sud sont autant de victoires que remportent des Etats primitifs émergents face aux Etats officiels. Et ces exemples modernes illustrent bien comment, loin d'être en contradiction avec la nature prédatrice de l'Etat, ses fonctions protectrices en sont en fait le prolongement naturel et spontané.

C'est donc un fait entendu : pour les idéalistes qui ne tolèrent pas que la réalité se dérobe à leurs principes moraux, l'Etat est par nature illégitime.

Mais l'institution de la démocratie libérale (je traite ici des démocraties où les mécanismes de vote jouent un rôle décisif et pas uniquement cosmétique) a profondément changé la donne. Avec elle, le maintien en place du gouvernant dépend nettement moins de la force qu'il peut mobiliser à son avantage, et nettement plus de l'image que la majorité a de lui. Le changement décisif qu'apporte le scrutin démocratique est que désormais, la nature prédatrice de l'Etat est employée essentiellement à renforcer, sinon la protection elle-même, au moins l'impression qu'a la majorité qu'il remplit ses fonctions protectrices dans son intérêt.

Comme je l'ai déjà souligné, ce nouveau paradigme n'est pas sans soulever inconvénients et problématiques : capacité douteuse du peuple à constituer ou à choisir de bons dirigeants, écrasement des minorités, loi d'airain contribuant à l'émergence d'une classe dirigeante défendant ses intérêts propres, périls quant à la liberté et au bien-être des citoyens pouvant mener à des régimes encore bien pires que ceux qu'avaient vu émerger la prédation pure et dure, notamment en endormant la vigilance des masses par une indéniable légitimité démocratique. Mais la règle générale veut qu'il reste le plus souvent bien supérieur en pratique au paradigme du pouvoir fondé sur l'intimidation et la violence en termes de liberté, de prospérité matérielle et de bien-être général.

Pour un radical qui aime raisonner en poussant les principes jusqu'à leur extrémité, il est réellement difficile d'imaginer que si l'Etat a un rôle protecteur essentiel, on ne doit pas toujours instaurer plus d'Etat pour plus de protection (d'où le communisme), et inversement, que si l'Etat est par nature prédateur, moins d'Etat ne signifie pas nécessairement moins de prédation (d'où le libertarianisme). Cette opposition est si fondamentale qu'elle cristallise le gros des aveuglements idéologiques du siècle passé, dans un sens ou dans l'autre. S'il y a un point sur lequel le rapprochement idéologique entre droite et gauche de notre époque est louable, c'est d'avoir éloigné ces deux points de fuite pour se concentrer sur une question politique la plus capitale : sous quelles conditions et par quelles mesures l'Etat sera-t-il à même d'user de son pouvoir prédateur pour étendre dans la plus large mesure souhaitable la protection qu'il offre aux individus, sans matérialiser les risques colossaux liés à un pouvoir trop actif ou ambitieux. Et pour répondre à cette vaste question, les libéraux modérés, sans être les seuls aptes à apporter des éléments de réponse, sont sans doute ceux qui pèsent avec le plus de soin les risques et les gains potentiels de l'implication de l'Etat sur des problématiques autour desquelles ils surveillent souvent avec plus d'attention les réponses que la société civile a à offrir.

mercredi 23 février 2011

Le bon racisme et le mauvais racisme

Afin d'introduire un tour d'horizon des réactions possibles face à la différence, je te propose une petite expérience (de pensée si tu n'as pas le budget, ça devrait marcher quand même, le résultat est intuitif) : colle 10 africains toutes ethnies confondues avec 30 blancs dans une classe/prison/salle de formation, laisse décanter et regarde la composition spontanée des groupes de TP/gangs/tables. Si ça t'est arrivé, comme à moi, de te retrouver face à une situation de ce genre, tu as sans doute compris aussi bien que moi toute la signification de la formule "Ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise".

En fait c'est là le sens même de la communauté : l'exclusion des outsiders, ou comme on aime l'appeler aujourd'hui par extension abusive du terme, le racisme. On est globalement trop manichéens pour les distinguer mais il y a le bon racisme – "je préfère m'entourer de ceux que je ressens plus proches de moi, avec qui on partage plus de choses et avec qui on se comprend mieux qu'avec d'autres" – à l'origine des meilleures relations entre êtres humains, et le mauvais racisme – "ma race/religion/patrie/communauté/classe est objectivement supérieure à telles autres et fondée à leur imposer sa volonté" – à l'origine des pires.

Bien sûr on peut concevoir d'autres alternatives. La première à laquelle on pourrait penser consisterait à escamoter la différence, faire l'autruche, la dépasser complètement pour faire comme si elle n'existait pas. Cette alternative est purement théorique : elle n'existe pas, c'est une impasse pratique.

On peut également songer à l'assimilation des différents, visant à les rendre semblables, mais on retombe alors dans le "mauvais racisme" : s'attaquer à la différence plutôt qu'au différent renvoie à la même conviction de supériorité d'un modèle donné. Changer les gens est certes moins destructeur que de les exterminer, mais sur quel critère absolu décider que le modèle qu'on cherche à imposer est le bon ? Même en supposant que ça soit possible en pratique, comment mesurer ce qu'on perd et ce qu'on gagne par l'imposition autoritaire d'un modèle unique ?

La dernière alternative, déjà plus réaliste, consiste à se faire violence et à braver la différence, à découvrir l'autre et à apprendre de lui malgré elle. On pourrait l'appeler le métissage culturel. À l'échelle individuelle, c'est sans nul doute l'approche de la différence la plus prometteuse d'enrichissement. Mais l'expérience évoquée au début de ce billet, même menée dans une classe/prison du XXIè siècle, devrait te convaincre qu'on s'éloigne ainsi de nos comportements spontanés, et qu'il faudrait, pour pouvoir le généraliser à l'échelle des masses, un conditionnement encore bien plus lourd que celui que nous infligent déjà médias, Hautes Autorités et associations anti-racistes.

Finalement, le bon racisme – ou communautarisme spontanné – est sans doute la plus viable des approches non-destructives de la différence, son principal défaut résidant dans sa fâcheuse tendance à dégénérer en mauvais (et en fait seul véritable) racisme, vaniteux et agressif. Le problème est toujours le même : cette satanée tendance à vouloir rendre ce qu'on trouve bien pour soi obligatoire pour tous et ce qu'on trouve mal pour soi interdit pour tous. Le contraire de cette tendance, c'est la tolérance (l'attitude) ou la liberté (l'état duquel on se rapproche quand l'attitude se répand parmi les hommes). Cette tolérance et la garantie de cette liberté à autrui n'étant guère plus naturelles et répandues que la dilution des membres d'une minorité quelconque placée au sein d'un groupe plus grand, je me vois contraint de finir encore ce billet sur cette éternelle interrogation : comment les faire advenir ?

jeudi 3 février 2011

Les époustouflants progrès de l'imagerie médicale

Ce soir, je te présente une autre revue d'une conférence du TED, où le bien nommé docteur Anders Ynnerman nous montre comment ont émergé des sortes d'iPad géants servant de tables d'autopsie virtuelle, permettant de dévoiler et de manipuler des images de n'importe quelle couche intérieure d'un corps humain – et même animal ! On peut ainsi visualiser avec un niveau de détail jusqu'ici inégalé le cœur d'un patient avant même de l'ouvrir pour opérer, pratiquer en un temps record une autopsie exhaustive et même étendre les applications à la zoologie ou à la neurologie. Le potentiel de ce genre d'outils dans les domaines du diagnostic, de la réduction des risques chirurgicaux ou de la recherche est proprement vertigineux, sans même évoquer son aspect ludique.

Détail non moins intéressant, le chercheur nous explique aussi comment ces technologies ont pu émerger, grâce à la production en masse de cartes graphiques sans cesse plus puissantes ayant pour objet initial... le jeu sur ordinateur. Les dernières cartes graphiques NVIDIA, fruit d'un effort de développement considérable nourri quasi-exclusivement par l'insatiable appétit des gamers de tous pays pour des jeux toujours plus beaux et fluides, permettent aujourd'hui la mise au point d'un matériel médical susceptible, dans un futur proche, de sauver et d'améliorer un nombre incalculable de vies humaines.

On tient là un magnifique exemple illustrant comment les aspects les plus puérils de notre société de consommation, ceux auxquels une économie dirigée aurait sans le moindre doute accordé le moins d'intérêt, ont pu, dans un système de marché libre, déclencher une évolution totalement imprévisible dans le plus crucial des domaines économiques : la santé.

Un autre exemple fascinant est celui de la PlayStation 3, dont l'US Air Force s'est récemment procuré dans les 2000 exemplaires pour fabriquer le 33è ordinateur le plus puissant du monde, et ce pour un coût total représentant 5 à 10% de celui traditionnellement dévolu à ce genre de super-système. À 2 millions d'euro le super-ordinateur on n'en est pas encore à pouvoir parler de démocratisation, mais on se rend bien compte que le potentiel d'évolution de ce genre de technologies est impressionnant, et surtout imprévisible.

mardi 18 janvier 2011

FN, libéralisme et socialisme

Assez paradoxalement, le succès à l'étranger du conservatisme libéral des années Reagan/Thatcher a longtemps servi de source d'inspiration aux nationalistes français, même s'ils l'ont toujours mangé à la sauce protectionniste, un peu comme s'ils croyaient que les bienfaits du libre-échange s'inversent par je ne sais quelle magie dès que l'échange se fait de part et d'autre d'une frontière (mais a-t-on jamais entendu parler d'un prix Nobel d'économie d'extrême-droite ?). Ils trouvaient chez les libéraux d'excellents arguments (sans doute plus pertinents que ceux qu'ils auraient pu produire eux-même, au moins en matière économique) pour critiquer l'élite politique et l'extrême-gauche.

Mais c'est fini ce temps-là. La mondialisation a largement rejoint, voire dépassé, l'immigration au palmarès des bêtes noires des frontistes. Finalement ils ne détestent rien plus que les libéraux qui, majoritairement, défendent les deux. Même la gauche traditionnelle a le mérite de les rejoindre dans leur combat isolationniste. Au point qu'ils préfèrent maintenant s'inspirer de l'économie keynésienne, voire marxiste, qui leur fournit des armes contre la mondialisation.

Le discours économique du nouveau FN se rapproche plus de celui du NPA que de l'UMP : nationalisations jusque dans l'industrie, protectionnisme virulent, condamnation de l'UE, sauvegarde du modèle social français contre les coups de boutoir de la mondialisation, anti-sarkozysme omniprésent, grand retour de l'Etat... Si leur programme (actuellement "en cours de réactualisation" sur leur site) rejoint leur discours, celui de 2012 devrait achever de dévêtir le parti des quelques guenilles de déguisement libéraloïde encore portées d'une épaule par Jean-Marie Le Pen pour les présidentielles de 2007.

C'est assez cohérent finalement : ça fait tellement longtemps qu'on baigne dedans que le nouveau conservatisme français c'est le socialisme. La réforme des retraites nous a bien montré à quel point les Français s'arc-boutaient sur un modèle social ostenciblement dépassé, après seulement un demi-mandat d'un président qu'ils avaient pourtant élu pour le dégraisser. De plus, si le socialisme théorique est toujours internationaliste, il devient toujours fortement nationaliste dès qu'on passe à la pratique. Quoiqu'en dise la démagogie d'extrême-gauche tant qu'elle n'est pas installée au pouvoir, chercher à cumuler un système de prestations sociales pléthorique et une politique d'immigration laxiste reviendrait à condamner sans équivoque le premier à l'implosion (même si après suffisamment d'années de socialisme, l'histoire nous montre que la préoccupation principale des gouvernements d'extrême-gauche est plus souvent d'empêcher leur population d'émigrer que celle des autres pays d'immigrer). Là encore, le nationalisme est un socialisme qui sait prendre soin de lui-même. Même concernant l'emploi, les nationalistes sont en plein accord avec la conception malthusienne et statique que les socialistes se font de l'économie. S'il y a une somme de travail fixe à diviser (et à cette seule condition), les 35h créent bien des emplois, les vieux qui partent à la retraite plus tard augmentent bien le chômage des jeunes, la mécanisation et la désindustrialisation génèrent bien du chômage structurel, mais ça veut aussi dire que le travail des femmes et des immigrés supprime des postes pour les hommes français. Les socialistes qui s'obstinent à soutenir les premières de ces propositions sont condamnés à se rendre ridicule en essayant de réfuter les deux dernières auprès de l'extrême-droite.

C'est sans doute l'explication la plus rationnelle aux succès du FN dans la récupération des électeurs de gauche : c'est le seul parti socialiste véritablement honnête et cohérent quant aux sacrifices nécessaires à l'application de son modèle dirigiste. Marine est en bonne position pour réussir mieux que son père à rassembler les nombreux socialistes français qui, après un examen poussé de leur idéologie et de ses implications, continuent malgré tout d'y adhérer.

Le gros tour de force de Le Pen père, c'était d'être parvenu à fédérer aussi durablement les anti-juifs et les anti-arabes dans un même parti sans qu'ils se tapent trop dessus. Ce statut de refuge pour les parias du débat public français fournissait au FN une base de sympathisants suffisamment nombreux pour lui permettre de survivre politiquement, mais guère de s'étendre. L'héritière semble mal partie pour renouveler l'exploit, mais devrait largement gagner au change en ratissant de plus en plus large à sa gauche, surfant sur le discours anxiogène autour de la mondialisation débité d'une seule voix par l'ensemble du paysage médiatico-politique français. PS, UMP, extrême-gauche, écologistes et syndicats, tous ont fait le lit du Front National : leur angoisse réactionnaire partagée face aux bouleversements internationaux, leur absence de propositions visant à armer le pays pour leur faire face, leurs sophismes économiques, l'incompétence des uns et l'angélisme des autres sont largement responsables – bien plus que les pathétiques tentatives sarkozystes de pseudo-débats électoralistes – des succès présents et à venir d'un nouveau FN dont on n'a pas fini d'entendre parler.

lundi 10 janvier 2011

Le paradoxe du choix

Ce soir, avec rien de moins que 5 ans de retard, j'ai découvert une passionnante conférence de Barry Schwarz, un chercheur en psychologie développant ce qu'il appelle le "Paradoxe du choix" (disponible ici avec sous-titres). Il y remet en cause avec des arguments fort convaincants ce qu'il présente comme le dogme des sociétés occidentales modernes et qu'on pourrait résumer par cette équation : plus de choix = plus de possibilités de trouver ce qui nous convient le mieux = plus de bonheur. À moins que tu ne me lises pour la première fois, tu auras reconnu dans ce "dogme" non seulement une idée que je partage, mais encore le fondement même de ma morale et de mes réflexions personnelles, et tu comprendras donc que je m'y attarde.

Son attaque se décompose en trois arguments tout à fait plausibles, dont je ne doute pas qu'en scientifique compétent, il les a dûment démontrés par des expériences qu'il relate sans doute dans son livre sur la question. Ces trois arguments sont :
– Faire un choix représente un effort en temps, en réflexion, en recherche d'informations, qui augmente avec le nombre de possibilités à départager. Plus de choix implique plus de perte de temps, voire d'argent, ainsi qu'un accroissement des préoccupations.
– Avoir conscience d'avoir eu le choix entre plusieurs opportunités (par exemple un séjour à la plage et un autre à la montagne) fait qu'on a tendance à regretter celles qu'on a écartées et à moins profiter de ce pour quoi on a opté, avec pour résultat qu'on est finalement moins heureux que si on n'avait jamais eu le choix. Pire, puisqu'on ne peut pas blâmer les circonstances, on doit porter la responsabilité fort déprimante d'un acte de choix qui, en nous fermant certaines portes, nous éloigne fatalement de nos espérances, de l'image mentale qu'on se fabrique d'un idéal rassemblant les avantages de toutes les possibilités sans forcément réaliser leurs inconvénients.
– Ces deux effets font que l'abondance de choix implique un coût (coût de production du choix dans le premier cas, le second représentant ce que les économistes appellent un coût d'opportunité) et suscite des appréhensions, ce qui produit un effet paralysant. De fait, on a tendance à repousser le moment du choix comme on repousse une tâche fastidieuse, voire même à l'éviter carrément (le chercheur cite en exemple le constat d'entreprises où, plus le nombre de plans de retraite offerts est élevé, moins il y a d'employés qui finissent par en souscrire un).

Je dois pour ma part avouer que j'y retrouve un embarrassant récit de mon indécision quasi-pathologique, me poussant, après maintes hésitations, à ne choisir entre plusieurs voies presque que celles dont j'estime qu'elles me fermeront le moins de portes pour des choix futurs, que je devrais pourtant deviner tout aussi déchirants. Même sans atteindre cette extrémité, je ne doute pas que tu n'auras toi-même aucun mal à reconnaitre dans ces mécanismes une description de bien des aspects de ta vie quotidienne.

S'il convient qu'avec un plus grand choix, on est nécessairement plus à même d'opter pour la meilleure option (choisir le meilleur jean), le professeur Schwartz défend qu'on en sera malgré tout plus malheureux. Il va même plus loin en déclarant que les effets négatifs de l'excès de choix sont sans doute un facteur majeur de la profusion des dépressions dans les sociétés modernes. Il reconnait, prenant l'exemple des sociétés pauvres, qu'il y a certains niveaux où c'est le manque de choix qui guide le désespoir, et en déduit qu'il doit y avoir un niveau intermédiaire de choix amenant à une optimisation de Pareto, améliorant la satisfaction générale. Enfin, après tant de réflexions passionnantes, il se perd regrettablement à conclure qu'une redistribution des richesses à l'échelle mondiale apporterait plus de bonheur des deux côtés, comme si, conformément à une idée fausse malheureusement trop répandue, les mécanismes apportant plus de choix (soit plus de prospérité matérielle, de développement et de liberté) avaient jamais fonctionné suivant ce genre de principe de vases communicants.

En laissant de côté cette dernière assertion bien regrettable, je t'étonnerai sans doute en t'avouant que je ne conteste aucune de ses conclusions. Mais avant que tu t'imagines que j'ai retourné ma veste, je vais t'expliquer pourquoi, malgré l'aspect paradoxal de cette association, je les juge parfaitement compatibles avec le paradigme du choix, qui constitue le fondement de la démocratie libérale, et à travers elle de la civilisation occidentale moderne.

Pour commencer, Schwartz oppose l'excès de choix à une situation initiale où les alternatives sont limitées naturellement par des circonstances contingentes, et non par la volonté de qui que ce soit. Et effectivement, nous n'avons aucun mal à nous passer de biens ou de services n'existant pas encore (un téléphone portable hier, un téléporteur aujourd'hui) ou quand une rareté naturelle nous en augmente le coût d'accès au-delà du raisonnable (pour un original de Rembrandt par exemple), bref quand nul autre que l'ordre naturel des choses n'est à blâmer pour un manque que, de fait, nous ne ressentons souvent même pas. En revanche, la frustration que nous ressentons est toute autre dès que la responsabilité de la limitation dont nous souffrons peut être attribuée à une volonté extérieure, comme un videur de boîte de nuit ou, pire, une hypothétique police du libre-choix. Je suis convaincu que mes grands-parents, même enthousiastes face aux avantages du téléphone, étaient plus à l'aise quand l'offre s'y résumait à trois couleurs de combinés filaires ; je suis disposé à accepter que l'élargissement pléthorique de nos gammes de téléphones portables ait finalement causé plus de frustration que de plaisir même à mes contemporains les plus passionnés de nouvelles technologies ; en revanche, si on annonçait demain à ces mêmes passionnés que le prochain Androphone ne sortira pas à cause de mesures limitatives visant à leur imposer un moindre choix "pour leur bien", je serais très étonné que leur niveau de frustration et de mécontentement soit diminué en quoi que ce soit. Or contrairement au socialisme, qui proposait d'instaurer rien de moins que la "liberté réelle", ou capacité illimitée notamment dans le domaine matérielle, le paradigme libéral intègre tout à fait la limitation du choix liée à la rareté des ressources ou des opportunités. Celle qu'il combat, c'est la limite arbitraire imposée par la violence ou par un pouvoir trop zélé.

En fait, la défense libérale du libre-choix a le plus souvent insisté, au-delà de ses avantages intrinsèques, sur la dénonciation de l'engrenage des dérives liées au pouvoir qu'on armerait pour le limiter. Même si le constat dressé était que le choix est nuisible (ce qui n'est pas le cas, à plus d'une simple nuance près), il ne répondrait à aucune des questions cruciales concernant sa limitation. Comment définir quelles possibilités de choix seront écartées et lesquelles seront laissées à une population d'individus dont les goûts et surtout les besoins diffèrent, et sont de plus variables dans le temps ? Qui serait habilité à arrêter ces choix ? Par quels moyens ? Par quelle autorité ? Pour quelles populations ? Comment être sûr que ces limites seront bien établies dans dans le but d'optimiser le bien-être des personnes visées ? Si l'on peut définir qu'elles ne le sont plus, comment réagir face à ceux qui auront obtenu le pouvoir de contrôler nos choix ? Comment mesurer ce bien-être à l'échelle d'un individu, puis comment agréger cette mesure à l'échelle d'une population ? Comment éviter que ces limitations empêchent l'émergence de solutions qui auraient été encore plus satisfaisantes pour tout le monde ? Après avoir retourné ces questions dans tous les sens (je te renvoie pour cela à ce bon vieux Hayek), voire même mené plusieurs expériences potentiellement désastreuses, malgré la bonne intention qui les aura vu naitre, après avoir risqué toutes les tyrannies, même les plus démocratiques (on ne rappellera jamais assez qu'Hitler a été élu très largement au suffrage universel), rien dans la théorie du professeur Schwartz ne nous laisse penser qu'on ne retombera pas sur cette bonne vieille conclusion, à l'origine de la conception de la liberté que se fait la démocratie libérale, que la meilleure solution reste de laisser les individus écarter eux-mêmes certains choix, se dicter leurs propres règles pour limiter leurs conduites au-delà du cadre du droit (contrats, conventions ou simplement discipline intérieure), voire même se choisir leurs propres maitres (professeurs, patrons ou gourous) s'ils veulent qu'on limite leurs choix pour eux.

D'ailleurs, d'après l'éconoclaste (qui, partant du bouquin original et non de la conférence qui le présente, n'y voit pas non plus d'objection à une extension des alternatives dans le domaine scolaire), Schwartz lui-même avance que les individus mettent spontanément en place des stratégies pour simplifier leurs choix. Même face à 100 produits analogues au rayon dentifrice, le consommateur n'y passe pas plus d'une minute et n'en perd pas le sommeil pour autant. Cette auto-discipline se retrouve aussi dans le monde des entreprises qui, de tout temps, n'ont pas attendu les lois parlementaires pour mettre en place des guildes réglementées, des standards industriels, des chartes de bonne conduite, des labels de bonnes pratiques, et autant de structures présentant le double avantage de limiter les opportunités de choix couramment examinées à ceux reconnus comme les plus efficaces, tout en offrant un cadre suffisamment souple pour permettre l'émergence spontanée de nouvelles solutions encore préférables. Contrairement à ce qui est allégué dans la conférence, les spécialistes du marketing n'ont d'ailleurs pas négligé notre résistance à l'excès de choix. L'exemple le plus flagrant en réside sans doute dans le succès de l'iPhone qui, non content de rassembler de nombreux choix d'appareils (MP3, photo, internet, téléphone, etc.) dans un modèle unique, s'est aussi démarqué en imposant aux milliers de développeurs de ses applications des principes tels que celui d'une interface dégagée et intuitive, le plus loin possible d'une lourde configuration riche en nombreux choix coûteux pour l'utilisateur. La recette des systèmes informatiques couronnés de succès, de Windows à Google, semble être de toujours encadrer les actions des utilisateurs via une interface simple tout en offrant un maximum de souplesse dans les possibilités d'évolution.

Dans une autre conférence donnée plus récemment au TED, Schwarz va d'ailleurs jusqu'à défendre sans ambiguïté la thèse qu'un cadre souple, laissant libre champ aux initiatives spontanées et innovantes, demeure préférable à une réglementation rigide limitant les recours des individus. Il tient alors, sans en développer la rhétorique et probablement à son corps défendant, un discours authentiquement libéral. Il ne fait pourtant nul doute, même s'il n'y fait pas mention pendant cette conférence, qu'il a toujours en tête ses vieilles conclusions concernant le choix, et qu'il n'a pas de mal à les intégrer dans une réflexion globale l'amenant à plaider malgré tout la supériorité de la liberté sur la contrainte.

Car finalement, aussi importantes que soient les conséquences négatives pour l'individu de l'excès d'alternatives – et même en minimisant les défenses qu'il développe contre elles, individuellement ou collectivement –, elles ne sont rien comparé au potentiel destructeur d'une limitation arbitraire de ses choix. Et aucune limitation ne saurait manquer d'arbitraire si elle n'est pas sanctionnée, en dernier recours, par le choix de l'individu concerné. C'est sans doute là le plus important paradoxe du choix.

dimanche 5 décembre 2010

Achats de tabac à l'étranger : Quand tout le monde semble jouer contre son camp

La réaction des buralistes français face à la suppression des quotas chiffrés sur l'achat de tabac à l'étranger n'est, en soi, guère surprenante. Il semble évident que dans l'état actuel des choses, une ouverture du commerce à l'étranger tendra à les placer dans une position inconfortable même si, ces limitations étant déjà largement inappliquées, l'impact de leur assouplissement sera sans doute très mesuré. En revanche, on trouve un réel motif d'étonnement dans le constat qu'en cherchant à limiter une concurrence indéniablement faussée, ils semblent choisir d'ignorer la source de leur handicap : la démesure sans cesse croissante des taxes sur le tabac vendu en France. On s'attendrait pourtant à ce qu'ils soient les premiers à défendre, en même temps que le pouvoir d'achat de leurs clients, leur propre intérêt face à ces politiques fiscales dont le but avoué est de les priver progressivement de la plus grande part possible de leur clientèle. Il serait difficilement compréhensible que les subventions que l'État leur verse depuis 2006 et jusqu'en 2011 en compensation de ses mesures agressives envers leur activité puissent leur faire oublier bien longtemps qu'on ne les nourris d'une main que pour mieux les étrangler de l'autre. Une réduction significative de ces taxes transformerait automatiquement cette ouverture du marché transfrontalier en bénédiction, tant pour leur situation que pour le pouvoir d'achat des fumeurs français, et même des frontaliers espagnols et allemands qui, pour une fois, pourraient trouver avantageux d'acheter quelque chose en France.

En revanche, il est beaucoup plus surprenant que les automobilistes qui sont interpelés par les buralistes en colère, alors qu'ils passent la frontière pour se fournir en cigarettes, affirment leur sympathie, et parfois même leur soutien à cette lutte curieusement dirigée. Ceux-là même que les taxes et l'espoir de préserver leur pouvoir d'achat poussent sur les routes jouent contre leur ultime recours. Un devoir de solidarité avec les manifestants s'est-il à ce point intégré à la conscience des Français qu'ils les soutiennent même quand la manifestation est si manifestement contraire à leur intérêt direct ?

Plus frappant encore, on entend dire que même les industriels du tabac verraient cette ouverture d'un mauvais œil. Il faut cependant remarquer que l'allusion est évasive, qu'aucune source n'est citée, et que la justification fournie peine à convaincre que les cigarettiers puissent se sentir menacés par une augmentation des volumes de vente de tabac, quand bien même celle-ci profiterait plus à certains qu'à d'autres (d'autant que l'explication fournie pour ce phénomène hypothétique n'est guère plus solidement fondée).

Force est de constater qu'il est difficile d'évaluer dans quelle mesure le filtre médiatique peut déformer les signaux qu'on reçoit de cette grogne, et plus largement du débat autour des politiques anti-tabac. On se souvient notamment que les grands médias ont été particulièrement laudatifs à l'égard de l'interdiction de fumer dans les lieux publics – aussi bien quand elle ne constituait qu'un vague projet que quand il s'est agi d'en dresser un premier bilan – ou encore qu'ils ont été prompts à "honorer" leur rôle de contrepouvoir en dénonçant massivement et sans délai les moindres transgressions des fumeurs récalcitrants ou de leurs complices, relayant avec zèle et sans réel contrepoint les rappels à l'intransigeance des associations anti-tabac.

Même si leur popularité réelle est difficile à évaluer, les opinions favorables à ce protectionnisme du tabac rencontrent un écho trop important pour ne pas interpeler. Pénaliser tant les Français les plus modestes (les fumeurs, lourdement taxés sont tout particulièrement représentés chez les chômeurs) que les buralistes ou encore les patrons, clients et employés de cafés, pour des résultats pour le moins discutables en matière de santé publique et même un impact très limité sur la consommation finale de tabac est-il vraiment justifiable du point de vue du rapport coût/résultat ? Le coût, lui, est en tout cas indéniable, tant dans le domaine du pouvoir d'achat que des libertés individuelles. L'ouverture du commerce transfrontalier pourrait permettre de l'alléger marginalement, et surtout de créer une pression à la baisse sur les taxes françaises sur le tabac, seule solution pour préserver durablement l'activité de nos buralistes.

Évidemment, cela nécessiterait de porter le coup de grâce à une conception belliqueuse de l'anti-tabagisme dont moyens et fins peuvent être résumés à l'imposition sans limite de nouvelles contraintes aux fumeurs, avec pour seul indicateur d'efficacité la part de l'opinion publique adhérant à leur croisade. Alors que, l'inscription présente sur chaque paquet aidant, nul ne peut prétendre ignorer les risques qu'il prend en choisissant de fumer, ne peut-on pas considérer que ceux qui continuent à faire ce choix ne sont peut-être pas toujours si faibles, stupides ou irresponsables que ne veulent le faire croire ceux qui les accablent de taxes et d'interdictions ?

lundi 27 septembre 2010

Liberté d'expression et opinion dominante

Il serait instructif de mesurer le temps que les grands médias d'information consacrent à diffuser, analyser, décontextualiser, interpréter ou s'indigner des dérapages verbaux des personnages publics. "Woerth a osé parler de lapidation pour qualifier l'attention dont il est la cible", "Sarkozy a prononcé douze fois le mot guerre dans son discours de Grenoble", "Zemmour a prétendu publiquement que la majorité des trafiquants étaient noirs ou arabes", "L'évèque d'Amiens fait le parallèle entre les expulsions de roms et les rafles de la Deuxième Guerre Mondiale", etc. Combien de précieux temps d'antenne a-t-il été gaspillé en débats, en chroniques, en réactions de toutes sortes à des déclarations de ce genre ? En cessant de se cantonner aux derniers mois, il serait possible de multiplier à l'infini les exemples. Qui n'a pas déjà eu son mot à dire sur le "kärsher", le "casse-toi pauv' con" ou la "bravitude" ?

Les innombrables critiques de cette course à l'indignation en viennent presque toujours à évoquer une menace pour la liberté d'expression, oubliant un peu vite que la liberté de critiquer les déclarations d'autrui en est une composante essentielle. Même lorsqu'un patron menace de se séparer de son employé pour avoir tenu des propos jugés inacceptables, la liberté d'expression n'a pourtant rien à y redire : l'employé reste libre de s'exprimer, et la liberté d'association assure à toute personne à laquelle il serait lié la possibilité de se désolidariser de lui, ce qui se justifierait particulièrement si des propos tenus en public risquaient de nuire à l'image de leur association commune. On oublie trop souvent que la liberté d'expression n'équivaut pas à un droit à l'expression, qu'elle ne régit que les rapports entre l'individu et le pouvoir et que ce dernier, s'il ne peut contraindre personne à se taire, ne peut non plus forcer quiconque à écouter, à apprécier ou à rester sans réaction.

En toute cohérence, l'amoureux de la liberté est forcé de reconnaitre que, malgré toute l'aversion que lui inspirent pêle-mêle la bien-pensance démagogique, le climat terrorisant de pensée unique ou l'étroitesse du débat public, il ne peut les combattre sur le terrain du droit. Qu'il s'en réjouisse ou s'en indigne, il doit bien admettre que, comme pour toute autre liberté, elle s'accompagne d'une responsabilité et de l'obligation du respect des libertés d'autrui qui, comme je vais te le montrer, limitent son usage débridé, formant en quelque sorte des garde-fous. Et comme leur nom l'indique, ces garde-fous tendent à nous confiner dans le faisceau de l'opinion dominante.

Le plus contraignant des garde-fous aux excès de la liberté d'expression n'est autre que le droit de propriété. Tout propriétaire, ou mandataire, d'un terrain peut révoquer son invitation envers celui qui exprime chez lui des propos qui lui sont désagréables. Mais surtout, tout propriétaire de média peut sélectionner ce qui rentre ou non dans le cadre de sa ligne éditoriale, et ce d'autant plus qu'il est plus soumis au second rempart : le manque de place, ou autrement dit la rareté. Le caractère limité du temps du consommateur de médias (et encore plus du temps qu'il choisit de consacrer en priorité à cette activité) implique qu'on ne peut donner de visibilité qu'à une portion congrue de l'information. Bien sûr, chacun est libre d'aller clamer son message au coin de la rue ou, comme moi, d'ouvrir un blog inconnu pour le crier au vide intersidéral de l'interweb, mais son impact sera évidemment bien différent s'il arrive à se blottir entre les colonnes du Monde.

Enfin, le troisième et sans doute le plus actif des garde-fous n'est autre que la responsabilité. Je ne parle pas ici du sens pénal du terme : si la liberté d'expression est bien instituée – ce qui, essentiellement du fait des lois mémorielles, est de moins en moins le cas dans ce pays – personne ne doit pouvoir être inquiété pénalement pour le contenu de son message. Je parle d'une part de la responsabilité civile, quand le message exprimé viole directement un engagement contractuel accepté précédemment par l'individu (devoir de réserve, accord de confidentialité...) ; d'autre part de celle qu'inspire l'impact du message sur les relations de l'émetteur avec des tiers. Il s'agit des foudres ou des jugements de ceux avec qui on est en relation, future ou actuelle, professionnelle ou personnelle, superficielle ou essentielle. Bref il s'agit de sa réputation.

C'est sans doute ce dernier point qui, pour le meilleur ou pour le pire, constitue la plus grande force d'attraction du noyau des opinions dominantes – de la pensée unique comme on dit souvent sur un ton qui laisse penser qu'il s'agirait de quelque chose de nouveau –, particulièrement en matière morale où les désaccords sont presque toujours vécus comme des agressions. C'est lui qui est à l'origine de "l'auto-censure" ou de la "censure commerciale", qu'il semble de bon ton de dénoncer face à un micro branché dès qu'on aborde le sujet. Pour une raison que j'ignore, notre époque, apologue immodéré de la modération, semble bouder ce mécanisme régulateur spontané et non-violent.

Fort heureusement, ces garde-fous ne sont pas des remparts infranchissables. Il est presque toujours possible pour un élément de message – idée, théorie, énoncé, récit, jugement moral ou esthétique – intéressant ou original de dépasser ces filtres pour, ne serait-ce qu'un instant, alimenter le grand jeu de la sélection sociale qui nourrit l'évolution de la connaissance, des goûts et de la morale des sociétés humaines. Car c'est là la grande fonction, et la plus puissante justification de la liberté d'expression : soumettre au jugement critique et sélectif des esprits les éléments d'opinion candidats à la formation de l'opinion dominante de demain. C'est aussi ce qui en fait une des premières cibles des régimes autoritaires qui cherchent à imposer un idéal commun prédéterminé.

N'oublions d'ailleurs pas qu'en sus de la pensée unique, qu'on dénonce généralement pour la très exposée communauté médiatique et politique française, il existe autant d'opinions dominantes que de communautés humaines, de la scène électro nantaise à la branche alsacienne de ma propre famille. Elle peut se manifester à chaque fois dans une infinité de domaines, allant du niveau approprié de familiarité dans les salutations à la qualité qu'on s'accorde à prêter aux derniers films de Martin Scorsese.

Même la plus sérieuse des communautés, et j'aimerais citer en exemple la communauté scientifique qui, sans doute plus qu'aucune autre, a réfléchi à ce problème et tenté de structurer son émission d'information de manière à favoriser l'objectivité, n'a pas su s'affranchir de l'émergence de phénomènes de modes, d'un fonds d'opinion duquel il est très périlleux de tenter de s'affranchir, tant pour préserver sa réputation que ses financements. Suite à la révolution newtonienne, le déterminisme physique a occupé cette place un moment. Aujourd'hui on pourrait citer, sans doute parmi des myriades d'autres, le darwinisme en biologie ou la thèse du réchauffement climatique anthropique.

Si toutes ces opinions dominantes exercent les puissantes forces d'attraction évoquées précédemment, elles suscitent également d'inévitables réactions de rejet. Souvent instinctives et peu constructives, au moins en partie, parfois même abusives, celles-ci jouent un rôle salutaire en émettant une critique et un questionnement, qui motivent la constitution d'alternatives aux opinions dominantes, avec lesquelles elles sont alors mises en concurrence. Émergeront alors des effets de mode, dont certains éléments perdureront parfois, alimentant le fleuve très tourmenté de l'histoire des idées, des arts, des sciences et des mœurs.

C'est d'ailleurs le point auquel elle encourage ce processus qui caractérise une société ouverte. L'exaltation de l'originalité, de la pensée critique, de la diversité et de la concurrence y favorise l'émergence d'opinions nouvelles, tandis que la libre association y promeut l'expérience et la sélection par abandon ou imitation de modèles rivaux. L'alternative, à savoir la société conformiste, rassemblée autour d'un idéal universel prédéterminé, conservateur ou progressiste, n'a jamais su verrouiller ce processus suffisamment pour se conformer pleinement à son modèle, et c'est tant mieux. C'est malheureusement la chimère qu'on sent poindre derrière l'incantation perpétuelle d'un très abstrait idéal républicain, ressassé à toutes les sauces en France, récupéré par tous les bords et dans tous les milieux. C'est dire s'il est creux.

mardi 24 août 2010

Cynisme et capitaliste

Le capitaliste est constamment la cible d'accusations de cynisme (dans le sens "enfoiré insensible", pas "clodo nudiste et branleur"). Non seulement il fait du profit, mais en plus il est prêt aux pires manipulations pour y parvenir : il cherche à limiter ses coûts, et donc la richesse qu'il redistribue à ses employés, fournisseurs ou prestataires de services ; il veut vendre le plus cher possible et donc extorquer la propriété de ses clients ; pire encore, il manipule les esprits avec de la publicité.

Plus important sera le problème auquel, moyennant compensation, il propose une solution, plus on lui reprochera son cynisme d'oser s'enrichir sur les malheurs qu'elle permet de surmonter. Plus sa solution sera efficace et peu coûteuse, plus elle se répandra, plus son profit augmentera, plus les bienfaits que son industrie aura répandus parmi les hommes s'imprimeront dans les mœurs comme la norme, et plus on le blâmera pour le sort de ceux, de plus en plus rares, qui n'ont pas encore les moyens d'y accéder. Voilà bien le cynisme du bourgeois que d'oser demander une contrepartie pour des biens qu'il possède en excès à ceux-là mêmes qui souffrent pourtant déjà bien assez du malheur de ne pas en avoir pour eux-même.

Pourtant un tel cynisme se retrouve chez tout être humain qui survit, c'est-à-dire qui pratique une activité économique quelconque : échange ou production. Que je sache, toi qui me lis, tu demandes bien une rémunération pour le travail que tu fournis. Quand bien même tu vivrais uniquement de donations ou de subsides, encore faut-il que tu acceptes le fait que l'argent que tu reçois est pris à quelqu'un d'autre. Quand tu choisis d'utiliser cet argent pour te payer un restaurant ou un cinéma, au lieu d'en faire un don qui pourrait éclairer le quotidien de gens nécessiteux, ne te comportes-tu pas toi aussi en implacable cynique ?

"Ha mais c'est qu'il faut bien vivre quand même. Le peu que j'ai, je peux bien le garder."

Vivre ? Mais te limites-tu vraiment au strict nécessaire à ta survie ? Si tu me lis en ce moment, il y a toutes les chances qu'entre ton foyer chauffé, ta voiture qui te permet de traverser le pays en une demi-journée, les milliers d'opportunités de distractions offertes par ton seul ordinateur et la qualité de soin à laquelle tu as accès, tu disposes de plus de richesses que les plus grands monarques absolus en leur temps. Dans tout ça, qu'est-ce qui est vraiment nécessaire à ta survie ? En ne t'y cantonnant pas, en exigeant des autres plus de richesse que tu n'en as réellement besoin, en ne redistribuant pas par toi-même tout ce qui te rend plus riche qu'un autre, lui conférant donc le statut de plus pauvre, n'es-tu pas d'un cynisme, sinon de même grandeur, au moins de même nature que ce capitaliste que tu abhorres ?

Toute activité économique implique de demander un paiement pour pouvoir perdurer, que ce paiement soit volontaire ou forcé par l'impôt, payé par ceux qui profitent du service rendu ou par des tiers qui, généreux ou contraints, contribuent à le financer en nourrissant ceux qui le produisent, en leur versant un salaire ou en leur destinant une rente. Si on attend de l'activité en question qu'elle se développe, il faut lui permettre d'accumuler plus que les dépenses qu'elle n'engendre. Si l'on veut que des êtres imparfaits et partiaux se consacrent à un tel développement, il faut qu'ils puissent en tirer un profit proportionnel. Enfin si l'on souhaite que cette entreprise soit favorisée à mesure du service que le peuple estime qu'elle lui rend, il faut laisser à chaque individu qui le compose la liberté de payer le prix qu'il veut au producteur dont il estime qu'il lui rend le meilleur service.

S'il est cynique de rechercher son propre intérêt, alors l'humanité devra tolérer d'être bien malheureuse pour se passer de cynisme. S'il est cynique d'accepter de jouir d'un profit qu'on a accumulé en mettant à la disposition de ses contemporains un produit qui leur apporte un bien-être suffisant pour qu'ils préfèrent l'acheter plutôt que de conserver leurs autres richesses, alors de quoi n'est-il pas cynique de jouir ? Est-il plus cynique de profiter égoïstement de bienfaits dont d'autres sont privés, ou de vouer l'humanité à l'abnégation dans l'attente d'une chimérique égalité ?

Le cynisme d'un seul patron d'entreprise automobile qui, guidé par sa cupidité, a permis à des milliers de personnes de voyager, de se rendre à leur lieu de travail, de gagner du temps de vie à consacrer à leurs loisirs égoïstes, ce cynisme-là vaut mieux que toute la sollicitude des braves boboïdes qui pleurent à chaude larme devant leur téléviseur, en s'infligeant le spectacle d'une misère contre laquelle leurs bonnes intentions restent largement inefficaces. Pour ce qui est de triompher petit à petit de la misère humaine et de faire avancer le progrès, aucun instrument n'a encore donné de meilleurs résultats que le capitalisme le plus cynique.

dimanche 6 juin 2010

Le péché originel du féminisme

On a souvent présenté abusivement les féministes comme des bouffeuses de bonhomme, aspirant plus ou moins secrètement à l'avènement d'un monde d'amazones préservé du genre masculin. En réalité, malgré toute la rancœur qu'elles entretiennent à l'égard de l'oppresseur phallocratique séculaire, les féministes considèrent généralement que, dans l'idéal qu'elles défendent, nous autres mâles sommes susceptibles de leur être utiles, et même agréables. Non, malgré tous ces siècles d'exploitation, elles ne réclament pas une vengeance qui inverserait la balance l'injustice, mais justement l'équilibre par l'égalité des conditions entre les deux sexes, et donc entre tous les individus les composant. Au final, le féminisme moderne est un communisme comme les autres. Mais outre l'aspect foncièrement utopique de sa démarche, son erreur fondamentale provient sans doute de la place prépondérante qu'il accorde à une chimère issue de son seul fantasme, et malgré tout désignée comme objectif à imposer.

Le socle de la pensée féministe consiste en son rejet axiomatique de l'image traditionnelle de la femme, envisagée, sinon comme facteur, au moins comme symbole de sa soumission. Il ne peut en soutenir qu'une image dépouillée de tous les attributs coutumiers de la féminité. Il ravale la beauté au rang d'une non-valeur, considérant son exhibition comme un insupportable abandon de toute dignité. Tenir son foyer ou cuisiner pour sa famille ne sont pas les moindres des renoncements qu'il ait à dénoncer. Aujourd'hui, c'est même le principe de la maternité qui est attaqué par toutes les Elisabeth Badinter de la planète.

Au final, ce n'est pas de l'homme que les féministes cherchent à se débarrasser, mais bien de la femme, ou en tout cas de la féminité.

En fait, la réalité de la femme, telle qu'elle a toujours été, est niée comme illégitime et appelée à disparaitre. Non, la femme ne peut pas vouloir être ainsi, et elle ne l'est que par la volonté de l'homme, qui l'a asservie pour la confiner dans le rôle qui l'arrangeait, lui. On pourrait se dire qu'il se fait une bien triste idée de l'indépendance d'esprit des femmes et de leur capacité, jusqu'ici, à résister à la domination machiste, mais que serait une bonne théorie de l'exploitation sans son faible gentil et son méchant fort ?

Si prompt à lever les boucliers contre les clichés, même fondés, touchant à la femme, il n'hésite pas à mettre les pieds dans ceux qui concernent les hommes. Par exemple, bien que les femmes se préoccupent globalement plus activement de leur apparence ou de celle de leur foyer, ménage et superficialité ne seront jamais considérés comme leur apanage exclusif ; en revanche il ne voit pas d'objection à ce que le fait que les hommes sont les plus gros amateurs de pornographie ou de prostitution grave dans le marbre ces pratiques comme des lubies 100% masculines. De toute façon, si on le laissait advenir, l'idéal féministe nous débarrasserait bien vite de cette diversité de préoccupations.

Je tiens tout de même à préciser que je ne m'attaque pas ici au féminisme originel. En tant que fervent défenseur de la vraie égalité, l'égalité en droit, je m'associe pleinement à la démarche des suffragettes et de toutes celles qui se sont battu pour que la loi s'applique de la même façon à tous les êtres humains, indépendamment de leur sexe et de leur race. Ce féminisme-là n'est finalement rien de plus qu'un sous-ensemble du libéralisme.

Mais les constitutions libérales ayant, depuis longtemps déjà, instauré cette égalité en principe fondamental du droit, ce féminisme a triomphé. En France par exemple, il ne subsiste à ma connaissance que deux inégalités de droit entre les sexes. La première touche aux congés maternité, et brime autant les hommes que les femmes. En concernant quasi-exclusivement ces dames, cette loi contribue effectivement à les impliquer (les enfermer ?) davantage dans la dynamique de la fonction parentale, tout en défavorisant l'homme qui souhaiterait prendre ce rôle prépondérant dès les premiers mois de la vie de son enfant. La seconde injustice, nettement plus grave, est à l'avantage des femmes qui, avec la mouture actuelle de l'accouchement sous X et le jeu des pensions alimentaires, sont les seules à pouvoir décider d'abandonner leur enfant, interdisant non seulement aux hommes d'en faire autant, mais les privant même du moindre recours pour seulement contacter leur progéniture dès lors que la mère a opté pour l'abandon.

Maintenant qu'il a atteint sa cible, le féminisme est mort. Ce qu'on nomme aujourd'hui féminisme, c'est autre chose, qui en a usurpé le nom sans même en revêtir un propre, me forçant à ces laborieuses circonlocutions, s'appropriant déloyalement le mérite d'une noble cause.

Ce courant nous vient encore de la gauche qui, comme de coutume, ne prospère qu'en accentuant les antagonismes entre groupes d'êtres humains différents (on lui doit d'ailleurs tellement de ces usurpations lexicales, égalité, solidarité et tant d'autres ayant subi des travestissements analogues sous la plume des mêmes idéologues). Variante de son cousin économiste le socialisme, né de et pour la contradiction, le féminisme a construit son idéal sur la seule opposition intellectuelle à l'image traditionnelle de la femme. Ainsi la femme du féminisme, à l'instar de l'homme nouveau du marxisme, n'est-elle qu'une création chimérique décrétée comme aboutissement inéluctable d'une histoire dont ses théoriciens prétendent entendre le sens, sur la seule base d'une spéculation intellectuelle dépourvue de fondement concret ou raisonnable.

Et comme pour le marxisme, la cruelle réalité continue de se rebeller contre la perfection onirique de ces aimables vues de l'esprit. La femme, même libre et égale à l'homme face à la loi, s'obstine à s'attacher à sa maternité, à son foyer, à son couple. La libération sexuelle n'a pas suffi à anéantir l'esclavage marital. Les jeunes filles en sont revenues, et s'engagent spontanément de plus en plus tôt dans des relations durables. Elles sont encore nombreuses à préférer aller chercher les enfants à l'école plutôt que de jouer leur carrière sur des heures supplémentaires que leurs maris continuent d'effectuer plus massivement. Même indépendantes et célibataires, elles tiennent à rester belles, à rêver devant les magazines de mode et à chercher le prince charmant sur Meetic, si possible assez viril et entreprenant, capable d'autorité et bien placé socialement. Elles continuent à s'orienter massivement vers les formations traditionnellement féminines – santé, lettres et sciences humaines – laissant majoritairement aux hommes la physique, l'informatique, la bâtiment ou la politique.

Certes le dur labeur de propagande des féministes n'a pas été complètement vain, et il existe une population féminine qui se reconnait volontiers dans cet idéal. Certes tout un corpus de justifications idéologiques s'acharne à blâmer la seule domination phallocrate pour les libres choix de ces autres femmes, trop stupides ou faibles pour saisir la portée émancipatrice du mouvement progressiste. Mais cette conception arbitraire de ce que doit être la femme ne pourra guère gagner en crédibilité tant qu'elle demeurera incompatible avec la seule revendication authentiquement féministe : c'est à chaque femme, prise individuellement, de décider pour elle-même de la personne qu'elle veut être et des moyens qu'elle est prête à déployer dans cette perspective. Quand bien même le féminisme moderne aurait réellement deviné la nature profonde de la féminité, il est exclu qu'il puisse la légitimer s'il ne parvient pas à l'imposer autrement que par l'adhésion spontanée des innombrables intéressées. Il en est encore très loin.

dimanche 21 février 2010

Culte de l'action

Tout le monde s'accorde plus ou moins à reconnaître que, si elle n'est pas traduite en action, la pensée seule est stérile.

Là j'ouvre quand même une parenthèse pour rappeler que, si je m'apprête à acquiescer pour la rhétorique, je ne suis absolument pas d'accord. Exercice intellectuel, branlette de mammouths et sodomie de drosophiles peuvent se révéler des occupations passionnantes, ce qui suffit, au moins à mes yeux, à les qualifier de fins en soi. Et dans la mesure où ils ne sont pas moins distrayants pour ceux qui s'y adonnent, ni une réflexion sur l'influence du stoïcisme dans les considérations morales de Nietzsche, ni un débat autour du lien entre mondialisation et communautarisme ne me paraissent plus stériles qu'un atelier poterie, une partie de foot, un trekking dans l'Himalaya ou encore une soirée télé devant la méthode Cauet.

Bref, admettons avec les pragmatiques que seule la perspective de l'action justifie le temps qu'on perd en réflexion. Certains ne peuvent visiblement pas se contenter de cet aphorisme fort acceptable, et semblent devoir le radicaliser, allant jusqu'à prêcher la vanité de la réflexion en ce que j'aime appeler le culte de l'action. Parfois, il s'agit de militants radicaux déjà tellement embrigadés par leur cause qu'ils considèrent qu'y réfléchir est contre-productif, que le travail de pensée a déjà été effectué par les leaders et penseurs à la tête du mouvement et qu'il n'y a plus qu'à servir en bons soldats. Mais il y a aussi ceux qui, conscients de leurs propres limites intellectuelles, trouvent plus confortable de mettre une justification morale derrière leur incapacité à sortir de ce qu'ils font le mieux : agir, par opposition à penser.

Je sais, je force un peu le trait, du coup tu as l'impression que je perds contact avec la réalité et que je me bats contre des ennemis invisibles. Et pourtant, cette tendance du "bouger avant de penser" nous accable quotidiennement de répercussions délétères :
- les lycéens et étudiants qui vont manifester (et dégrader) en masse pour défendre des intérêts qu'ils ne comprennent pas, protestant, tant par bête mimétisme que par une inconsistante rébellion adolescente, contre des politiques dont ils ne font qu'effleurer les tenants et aboutissants ;
- l'exaltation du vote comme devoir citoyen, avec le mantra du vote utile, se concentrant tous deux sur l'action en soi et non le processus de réflexion censé en constituer l'essence ;
- la version active du principe de précaution qui, pour la grippe A comme pour le réchauffement climatique, préconise qu'il faut à tout prix agir à grands frais avant de bien connaître la menace et ses mécanismes, oubliant que le coût de l'action peut être bien supérieur à celui du danger, particulièrement s'il est surévalué ou quand elle est mal ciblée ;
- plus largement le volontarisme politique dans tous les domaines, encouragé par la sanction électorale de l'inaction, comme s'il valait mieux agir à tort et à travers (avec toujours plus de nos impôts) que de ne rien faire (Le "politician sophism" : "We must do something – This is something – We must do this")

Et oui, on doit sans doute au culte de l'action l'escalade sans borne du poids (et de la dette) de nos états, toutes nos plus mauvaises politiques publiques, les grèves à répétition lancées par quelques syndicalistes radicaux et peut-être même une bonne part de notre terrorisme international.

Et le pire c'est qu'on ne peut rien y faire. Moi le premier, je t'accorderai qu'un juste dosage entre action et réflexion préalable, ça ne se décrète pas pour autrui, ça se décide au niveau individuel. Notre seul recours reste de se mettre à l'abri des arbitrages défectueux d'autrui par un régime de liberté, un vrai régime de droit. Et si je t'encourage à y réfléchir autant que tu le jugeras nécessaire, j'espère que nous saurons tous deux, un jour ou l'autre, traduire cette réflexion en action.

samedi 30 janvier 2010

Moulins à vent

Les gros salaires sont à la gauche ce que l'identité nationale est à la droite : des moulins à vent.

L'analogie avec ces polémiques est en effet frappante : comme les moulins, ils brassent essentiellement du vent, et comme les moulins, ils ne sont employés qu'à moudre du vieux grain, pour lever de nouvelles voix.

Mais on peut aussi y voir des moulins à vent dans le sens de Don Quichotte, c'est-à-dire des ennemis imaginaires, des faux problèmes qu'un aveuglement confinant au ridicule laisse occuper le devant de la scène, occultant la dette abyssale, la crise et ses vraies causes ou encore le naufrage annoncé de notre système de retraite. Comme si les vrais écueils ne suffisaient pas, on ne parle que de ces problèmes illusoires qui ne peuvent être résolus, du moins pas sans déployer des moyens colossaux qui, au mieux, n'entraîneront que leurs hérauts à leur perte, et au pire seront nuisibles à toute la société.

Car les "débordements" du débat sur l'identité nationale ou la fuite des cerveaux et des capitaux ne sont que de risibles avatars des cataclysmes qui s'abattront sur nous le jour où les politiques des deux bords décideront de faire sauter leurs moulins à la dynamite. Et quand je vois à quel point le populisme fait recette, j'en viens à me demander si nous en sommes si loin que ça...

dimanche 29 novembre 2009

Ochlocratie

Voilà ce qui se passe quand on abuse de la démocratie. La Suisse, pays dont le système s'approche d'assez près d'une démocratie directe, vient de voter à une confortable majorité, lors d'un référendum d'initiative populaire lancé par l'extrême-droite, l'interdiction d'ériger des minarets sur les mosquées. Voilà une excellente illustration pour ma thèse du jour : la démocratie électorale, ou raison du plus nombreux, est un mode de fonctionnement politique attentatoire tant à la liberté qu'à l'égalité et au bien-être des individus. Elle nous révèle donc une fois de plus son vrai visage : la dictature de la majorité sur la minorité, où l'arbitraire de 51% (56% en l'occurrence) de la population peut décider de la spoliation des 49% restants.

Depuis l'antiquité grecque, il existe un terme qui synthétise le côté obscur de ce système tant vanté : "ochlocratie". Il définit "la forme de gouvernement dans lequel la multitude, la foule, la populace, détient tous les pouvoirs et impose tous ses désirs", un "règne de la médiocrité et de la vulgarité". La seule chose qui distingue la démocratie (au sens courant) de l'ochlocratie, c'est l'usage que le peuple fait du pouvoir, la vertu avec laquelle il l'exerce. Si on considère, comme on a tendance à le faire dans nos démocraties modernes, que le peuple a toujours raison par essence, l'ochlocratie n'existe pas et la Suisse a eu raison de voter cette interdiction. Si au contraire, comme j'y ai tendance, on considère que seul l'individu a raison pour ce qui le concerne, alors toute démocratie qui ne s'évertue pas exclusivement à garantir les libertés (et une telle démocratie ne s'est encore jamais vue) est ochlocratie.

Comme d'habitude quand j'ai à dénoncer quelque chose qui plaît à la plupart de mes contemporains, je commence par m'interroger sur les raisons qui rendent le système démocratique tellement populaire parmi les masses modernes.
En tout premier lieu bien sûr, la démocratie est considérée comme la seule alternative aux régimes monarchiques, dont les révolutionnaires, républicains et progressistes de tout poil se sont empressés de nous brosser le plus sombre des portraits dès les prémisses de la Révolution.
On – les théoriciens du contrat social, les premiers démocrates libéraux et leur progéniture bâtarde socio-démocrate – nous a présenté le peuple comme une entité à part entière, comme un corps qui doit pouvoir se mouvoir d'une même volonté, soit celle de la majorité des cellules qui le composent. En fait, on nous a implicitement (et sans doute inconsciemment) livré le sophisme suivant : Chaque homme libre doit pouvoir prendre librement les décisions qui le concernent ;
un peuple est un ensemble d'hommes libres ; donc un peuple doit pouvoir prendre librement les décisions qui le concernent. Malheureusement, la liberté ne supporte pas la montée en charge. On ne peut nantir la communauté des droits de l'individu qu'en les lui ôtant, substituant la tyrannie à la liberté.

D'ailleurs la question de l'autorité du peuple pose un véritable problème métaphysique. À l'instar de l'Euthyphron de Platon, qui définit la piété comme ce qui plaît aux dieux, nos sociétés démocratiques assimilent le juste à la volonté du peuple. Mais est-ce parce que le peuple ne veut que ce qui est juste – et peut le traduire en loi par la seule démocratie – ou parce que le juste naît uniquement de la volonté du peuple ? Y a-t-il un droit préexistant à la volonté du peuple, ou découle-t-il de cette volonté ? La poule ou l'œuf ?

J'attire de plus ton attention sur le fait que le vote est systématiquement un acte emprunt d'un fort égocentrisme. En effet, le citoyen qui choisit rationnellement de fournir l'effort de se déplacer à son bureau de vote se trouve fatalement dans un de ces deux états d'esprit :
– soit il se considère plus malin que la moyenne, plus apte que la moitié des autres votants à déterminer la meilleure solution pour l'ensemble de la société ;
– soit il considère son intérêt personnel avant celui de l'ensemble de la société puisque, bien qu'il ne s'estime pas plus compétent que la moyenne, il choisit tout de même de peser sur la décision, nonobstant que ce puisse être nuisible à la meilleure décision pour l'ensemble, prise par plus sage que lui.
Donc, soit le votant ne croit pas à la sagesse du peuple pour se gouverner convenablement – et partant, il ne croit pas à la démocratie – soit il trouve préférable de favoriser son intérêt personnel en contrecarrant la sagesse populaire – et par là démontre la nature perverse du suffrage.
Je t'accorde que la plupart du temps, il n'est tout simplement pas si rationnel, réagissant machinalement à de bêtes pulsions d'imitation ou à des pressions sociales émanant d'individus plus ou moins directement intéressés à son vote. Mais un citoyen qui vote sans même la conscience du narcissisme intrinsèque à son geste est-il vraiment digne de ce pouvoir sur ses semblables ?

Les libéraux ont une approche différente de la démocratie. Pour eux, justice et liberté se confondent. Il n'y a d'autre droit que ceux de l'individu : les droits de l'homme, libertés négatives traduites en interdiction d'agresser la personne ou la propriété d'autrui. La loi ne sert qu'à garantir cette liberté, qui se résume en principes simples (une déclaration des droits ? une constitution ?). À supposer qu'il faille bien un pouvoir public pour faire appliquer ces principes, le rôle du vote populaire se borne à sa surveillance, à la sanction de ses atteintes au droit (notamment au droit de propriété, via l'impôt) et à la liberté des citoyens.

Évidemment, les politiciens de tout bord, soutenus par divers utopistes, ont tout intérêt à faire croire que ce régime vise plutôt à leur attribuer de nouvelles prérogatives, à dépouiller les individus, au nom de la collectivité, de leur droit de faire prospérer leur patrimoine, de consommer ce qu'ils veulent consommer ou encore de vénérer leurs dieux de la manière qu'il leur plaira. C'est sans doute pourquoi on n'a jamais vu de vraie démocratie s'établir durablement. Et sans doute ne disposons-nous guère d'alternative préférable au vote pour l'organisation de sociétés à grande échelle. Mais au moins sachons nous rappeler qu'un peuple fait un piètre dirigeant, et le plus inamovible des tyrans.

vendredi 23 octobre 2009

Contradictions alternatives

"Nous imposerons la liberté par la force !" s'écrie l'anarchiste révolutionnaire.
"L'égalité sera garantie par le pouvoir." propose le communiste autoritaire.
"Je suis super tolérant, mais seulement envers ceux qui ont les mêmes idées que moi." explique l'anti-raciste militant.
"La femme ne sera libérée que lorsqu'elle sera réduite à la vision que nous avons d'elle." professe la féministe.
"C'est en escamotant la différence qu'on atteindra la tolérance." proclame le républicain anti-communautarisme.

Évidemment non, ils ne le formulent pas comme ça. En réalité, ils n'ont généralement pas conscience de l'aspect contradictoire de leurs belles idéologies. L'alliance de bonnes intentions avec une perspective utopique et la conviction que la fin justifie les moyens n'est guère propice à la remise en question. Si on ajoute à cela que le militant lambda est souvent un tel partisan de l'action qu'il en vient à mépriser tout ce qui pourrait l'en détourner, débat approfondi en tête, on s'aperçoit qu'on a tous les ingrédients qui augurent des plus sombres perspectives.

J'aimerais opposer à ces contradictions d'autres paradoxes, selon moi à la fois plus légitimes et plus fertiles.

Tout d'abord, j'aimerais introduire l'éventualité d'être à la fois opposé au racisme et à l'anti-racisme, du moins dans sa version militante que beaucoup de mes concitoyens semblent considérer comme l'héritage positif de la Seconde Guerre Mondiale, la leçon à tirer de la Shoah. S'il est un domaine où tout le monde semble s'accorder pour concéder que la fin justifie les moyens, c'est bien ce fameux "Tout faire pour que ça ne se reproduise plus". Tant pis si l'on doit pour cela avoir recours aux moyens mêmes qui ont fait le triomphe de l'idéologie raciste sur la raison humaine : censure, ferme négation pseudo-scientifique de l'existence des races, manipulation de masse, glorification de symboles patriotiques, galvanisation des rancœurs héritées de la dernière guerre en date, etc. C'est là une belle leçon de pragmatisme : au lieu de retenir que ces méthodes n'étaient nullement le chemin de la raison, nous en avons seulement retenu qu'elles étaient efficaces pour modeler l'opinion.

Nous en arrivons donc au deuxième paradoxe que je me propose de te proposer : savoir être à la fois contre le fascisme, et contre l'anti-fascisme, ou du moins son penchant autoritaire. Retrouver des affiches déclarant arbitrairement "Ici, zone anti-fasciste", posées par les mêmes anarchistes révolutionnaires qui entendent imposer la liberté par la force, n'a plus rien de surprenant, à tel point qu'on en oublie presque le niveau d'aberration dont de telles pratiques relèvent. Vouloir combattre une idée par l'autorité, en l'interdisant publiquement, est d'une totale inefficacité ; la pérennité de nombre d'idéologies opprimées (christianisme, judaïsme, etc.) en témoigne. En plus de cette inefficacité, l'idée d'une lutte contre l'idéologie de l'autorité par le moyen de l'autorité relève de la plus dangereuse des absurdités.

Allez, enfonçons-nous dans la provocation, soyons féministes, soit favorables à une égalité des droits entre hommes et femmes, et anti-féministes, c'est-à-dire opposés à l'image de la femme et à l'égalitarisme autoritaire que promeuvent les féministes. Et si nous étions laïques, désireux que les pratiquants de chaque religion puissent cohabiter librement, tout en rejetant l'idée que des députés judéo-chrétiens interdisent à des musulmanes de satisfaire à leurs coutumes vestimentaires au sein d'écoles dont ils leur ont rendu la fréquentation obligatoire ?

Bon, on peut sans doute s'arrêter là. Tu l'as remarqué toi aussi, c'est un peu toujours le même schéma. Le motif qui se répète ? La dénonciation de la confusion entre le vice et le crime, entre le mal et l'interdit, entre ce qui relève de la morale et ce qui relève du droit. On peut être en désaccord avec une idée, réprouver un fait, sans pour autant vouloir les interdire. De même, pour peu qu'on soit réellement attaché à des concepts comme la liberté ou la tolérance, on devrait en leur nom s'opposer à l'interdiction de ce qu'on désapprouve.

mercredi 30 septembre 2009

Révolution

Un jour je m'amuserai à rédiger un dictionnaire énumérant toutes les atrocités justifiées, et parfois même encensées, en invoquant le doux nom de la révolution.

Nan je déconne, ça me prendrait beaucoup trop de temps. Des guillotinés en chaîne de la Terreur française aux exactions de la révolution culturelle chinoise ; de la routine des coups d'état africains au terrorisme des milices communistes sud-américaines ; des innombrables massacres populaires spontanés à l'holocauste russe et ses cent millions de morts ; je blêmis à la seule idée de la quantité de papier qu'il me faudrait noircir pour couvrir, même brièvement, la mort souvent atroce de chacune des victimes des révolutions. On ne compte plus le nombre de régimes totalitaires et liberticides imposés au pouvoir par une minorité belliqueuse et sans merci, auto-proclamée voix du peuple au nom d'un énième idéal utopique.

Et pourtant, en France comme dans de nombreux autres pays, la révolution reste le symbole même de la justice, de la liberté et de l'émancipation. En tous ces états, le pouvoir l'agite tel un drapeau, fondant sur elle, sur cet accaparement par la force, sa légitimité et son autorité, imprimant au peuple son unité forcée dans des valeurs idéalistes qui, même si son ensemble les avait réellement choisies unanimement, ont depuis fatalement été perverties par l'épreuve de la réalité. Et il l'agite tant et si bien que le peuple finit par la suivre, captivé par elle, convaincu d'y voir son salut, et que son salut ne peut venir que d'elle.
Le peuple français en est un exemple édifiant : ayant basé la légitimité de son régime de gouvernance sur une révolution (ou plutôt sur une succession de révolutions), il s'est convaincu, de commémorations en fêtes nationales, qu'elle est la responsable de tout le progrès dont il a bénéficié depuis. Il a comme oublié que nombre de ses voisins n'ont pas eu besoin d'un tel déchaînement de violence pour jouir des mêmes bienfaits. Engoncé dans son chauvinisme et les discours de ses politiciens, il refuse toujours de réaliser que, bien loin de l'avoir gratifié d'un quelconque avantage, ce culte de l'ochlocratie l'a fragilisé, contribuant à son éconduite dans la sympathie d'aberrations politiques qui l'handicaperont sans doute encore durablement.

Ne pouvons-nous donc convenir, avec Rousseau, que la force ne fait pas droit ? Qu'une minorité ayant pris un pays par les armes, ou dressé son armée contre son gouvernement, n'a pas nécessairement plus de légitimité à imposer sa volonté que le gouvernement à l'origine de son mécontentement ? Pire, qu'approuver un tel coup d'état revient à en entériner la méthode, et à légitimer sa prévisible récurrence ? Comment notre idéal révolutionnaire peut-il juger l'instabilité gouvernementale en Afrique ou les exactions de groupes terroristes tels que les FARC, alors que ceux-ci ne font que s'y conformer ?

Chaque régime est basé sur une législation, sur un ordre des choses donné. S'il est inadapté, il doit être modifié à moindre coût, et pour un autre plus adapté, ce qui suppose une avancée progressive et raisonnable, une évolution plus qu'une révolution.
Et quand bien même le peuple serait persuadé de n'avoir rien à perdre, que le régime qu'il instaurera sera forcément préférable au précédent, que se passera-t-il quand il s'en sera lassé ? Aussitôt que le soufflet des fausses promesses sera retombé, quand il aura réalisé le peu d'influence positive qu'un gouvernement peut avoir sur ses soucis quotidiens et que de nouveaux idéalistes viendront proposer une nouvelle utopie, le peuple, fort de son héritage révolutionnaire, renversera encore son régime et écrasera ses fidèles en un nouveau tour sanglant de ce manège macabre.
Même en présumant qu'il soit légitime d'imposer un régime quelconque, nouveau ou ancien, à une partie de la population, je ne m'explique pas qu'on puisse accepter, légitimer, encenser cet accouchement dans une douleur systématique, dans une horreur indicible.

Car la révolution c'est tout ça : les idées qui valent plus que la vie humaine ; des hommes qui en massacrent d'autres pour les punir non de leurs actes mais de leurs opinions ; des tribunaux arbitraires qui assassinent à la chaîne sur la base d'un régime de droit qui n'était pas en place au moment des faits, ne retenant même pas à la décharge des condamnés la fatalité de leurs conditions d'alors ; la sécurité de chacun livrée au bon vouloir d'une foule sanguinaire et ignorante, aveuglée par une colère souvent mal orientée par les opinions faillibles que lui prêchent d'implacables démagogues.

Les révolutionnaires les plus aguerris, le plus souvent athées convaincus, ont cela de commun avec les croyants qu'ils sont convaincus d'appartenir à quelque chose qui les dépasse, qui justifie qu'ils s'y consacrent tout entiers, qu'ils combattent inlassablement, qu'ils châtient sans pitié l'hérétique. Cet idéal absolu, par lequel ils se laissent régir et dont ils tirent leur prétendue autorité à régir les autres, ils ne lui donnent pas le nom de dieu, mais de cause. En braves petits croisés, ils vont au combat sacrifier à la cause tant leurs vies que celles de leurs opposants.

Enfin, peut-être un jour les individus parviendront-ils à s'apercevoir que leur destinée repose entre leurs mains, et non dans les griffes dont ils nantissent leurs gouvernants, s'érigeant tour-à-tour en troupeau sous leur garde ou en armée pour les renverser. Peut-être alors, comme le rêvait La Boétie, les laisseront-ils tomber, petit à petit et sans autre effusion de sang que celles que requiert la légitime défense, réprimant les actes et non les idées. Et peut-être encore ne suis-je, moi aussi, qu'un dangereux idéaliste.
Je n'ai pas encore la prétention de proposer une méthode de réforme parfaite et infaillible. Mais je refuse de voir autrement que comme un mérite mon rejet catégorique, tant intellectuel que moral, d'idéaux qui prétendent baser leur légitimité sur la coercition et la transgression.
Débarrassons-nous de cet idéal révolutionnaire, et avec lui d'une des chaînes nous liant à l'autorité étatique. Cela ne nous suffira sans doute à gagner ni la paix sociale, ni la liberté, mais au moins y obtiendrons-nous que ces deux idéaux ne soient plus mis à mal par cette insatiable chimère.