dimanche 16 mars 2008

Patriotisme et nationalisme

On entend assez régulièrement ce genre d'expression : "Je suis fier de mon pays", "Fierté nationale"... Même si les répliques de ce type paraissent aisément assimilable à des milieux patriotiques et conservateurs, voire même nationalistes, elles tendent à se généraliser au gré de certaines circonstances, notamment à l'occasion de victoires sportives.
J'éprouve moi-même une volonté que je ne m'explique pas de voir triompher l'équipe qui porte mes couleurs sur le terrain, même dans un sport dont je me fous par ailleurs complètement. Quand il lui arrive de triompher, j'en viens même à ressentir une forme de satisfaction tout-à-fait assimilable à de la fierté.

Pourtant, si l'on venait me demander si je suis fier d'être Français, ma réponse serait évidemment négative.
Tout d'abord parce que j'ai une tendance, certes discutable, à penser qu'on n'a pas à être fier de quelque chose qui ne dépend pas de nous. Mis à part les quelques naturalisés qui ont tout quitté par pure volonté de rejoindre notre beau pays, nous autres Français de naissance n'avons guère le moindre mérite concernant notre nationalité. On n'a jamais demandé à naître Français, et on l'est sûrement restés, pour l'essentiel, par habitude et commodité. Les performances de nos équipes de foot ou de rugby, de nos nageuses ou de nos judoka ne dépendent, sauf cas particuliers (entraîneurs, joueurs...), absolument pas de nous et nous n'avons par conséquent guère de légitimité à nous gargariser de leur réussite.
Deuxièmement, même si je pouvais tirer de la fierté d'une nationalité que je n'ai pas choisie, ce serait plutôt de la honte que je ressentirais à porter les couleurs de mon pays. De quelle France veux-tu que je sois fier ? La France qui a opprimé et ponctionné des décennies durant les habitants de ses colonies africaines et asiatiques ? La France qui, dans sa grande majorité, a courbé l'échine et fermé les yeux devant la puissance et la sauvagerie de l'envahisseur nazi ? La France féodale, qui se déchirait en guerres sans fin dans l'inégalité et la privation de droits la plus totale, commettant les pires atrocités au nom d'une religion dépouillée de tout son sens qui la couvait d'un regard bienveillant ? La Gaule barbare de nos ancêtres pouilleux, opportunément civilisés par l'envahisseur romain ? La France moderne, qui malgré tout cela reste encore assez imbue d'elle-même pour avoir un candidat nationaliste au second tour de ses élections présidentielles à l'aube des années 2000 (et même dès 2007 un président militant si outrageusement pour le patriotisme et l'identité nationale).

Malgré tout, je suis heureux d'être Français. J'aime mon pays. Évidemment, je lui préfère des systèmes politiques plus libéraux, à l'image de la Hollande par exemple; bien sûr, j'envie les climats des plus basses latitudes; effectivement, j'ai un penchant plus marqué pour les grandes étendues sauvages d'Amérique du Nord que pour nos champs ininterrompus de blé, de maïs et de vigne.
Mais à tous ces niveaux, on ne se défend pas si mal. On est une sorte de juste milieu.
Notre économie a su opter pour un libéralisme salutaire tout en faisant figure de précurseur sur nombre de questions sociales et, malgré les difficultés qu'elle connaît ou a pu connaître, elle continue de fonctionner plutôt correctement.
Niveau climat on ne s'en sort pas si mal, l'Océan Atlantique sur notre flanc modérant pour nous la rigueur des hivers et la pesanteur des climats continentaux. On peut en quelques heures de route passer du ski sur sommets enneigés aux plus chaudes plages méditerranéennes.
Quant aux paysages, on n'est quand même pas à plaindre. Entre la beauté, à la fois sauvage et traditionnelle, des montagnes et des villages d'Alsace, la puissance toute paradisiaque des calanques marseillaises, le pittoresque des rivages bretons et le blanc immaculé des plus hauts sommets alpins, la France offre sur un minimum d'espace, une représentativité exemplaire de certains des plus beaux paysages de notre planète.
Même si j'ai beaucoup de reproches à leur faire, j'aime mon pays, le système dans lequel j'évolue et la langue que je parle. Il m'arrive même, dans certains accès d'auto-congratulation toute prétentieuse, de ressentir une certaine fierté de la maîtrise que j'ai de cette dernière et du respect que j'éprouve pour elle.

Je suppose que, dans un sens, cela fait de moi un patriote, même si je ne le ressens pas du tout ainsi. D'ailleurs, je me retrouve tout-à-fait dans plusieurs des valeurs françaises, liberté et égalité (dans cet ordre s'il te plaît) ou encore démocratie.
Mais je ne ressens pas cette fierté et cette solidarité nationale qui va, pour moi, de pair avec la notion de patriotisme. Sauf vraiment dans le cas de la défense contre une invasion sur le territoire nationale, je ne vois par exemple aucune gloire dans le fait de mourir pour son pays, juste de la stupidité. Je ne suis que très modérément préoccupé par notre rayonnement international ou notre puissance diplomatique et militaire. Je n'ai pas spécialement le sentiment que ma nation soit supérieure à d'autres, ou que le Français soit moins con qu'un autre, au contraire. Je veux que mon pays soit concurrentiel afin de garantir à ses habitants (notamment moi et mes proches) l'obtention aisée d'un niveau de vie correct, mais je n'ai aucune ambition concernant le concept galvaudé de "grandeur nationale" par exemple.

D'ailleurs pour tout te dire, j'ai tendance à ressentir un certain mépris envers ceux qui affichent (et encore plus pour ceux qui les ont sans les afficher) des opinions nationalistes.
Attention, je parle bien ici du nationalisme, pas du racisme. Je ne suis pas de ceux qui font bêtement l'amalgame entre les opinions nationalistes et le nazisme ou la haine raciale : si les racistes sont quasi-immanquablement nationalistes, l'inverse n'est pas vrai, et il y a une grosse différence entre penser que les Français doivent passer avant les autres dans leur propre pays et estimer que certaines races sont supérieures à d'autre. Je n'en viens guère jusqu'à m'agacer qu'on diabolise de la sorte une idéologie avec laquelle je suis tellement en désaccord, mais je trouve dommage qu'autant de gens se laissent si bêtement mystifier au point de refuser de voir la différence entre les deux.
En fait, il y a 3 points principaux sur lesquels je suis en total désaccord avec les idées nationalistes : la vanité nationale, l'immigration et l'ouverture au monde.

Je ne peux m'empêcher de croire qu'il faut avoir quelque chose à compenser pour tenir à ce point à la grandeur de son pays, et surtout pour penser qu'une nationalité puisse conférer une supériorité quelconque. Comment peut-on, en essayant d'y réfléchir avec un minimum d'objectivité, être à ce point inconscient des défauts et de la médiocrité de ses propres concitoyens, au point de rejeter la responsabilité de tout ce qui va mal sur les étrangers et l'ouverture au monde qui nous entoure ? Je conçois que ce soit une pensée agréable et rassurante, et qu'il soit nettement plus pratique de se dédouaner de ses propres problèmes en les mettant sur le dos des autres qu'en les assumant. Mais je ne peux comprendre qu'on base toute son idéologie sur une pensée juste parce qu'elle est rassurante, sans prendre le soin de regarder autour de soin et de juger de tous les points sur lesquels elle ne colle absolument pas avec la réalité.

Concernant l'immigration encore, je trouve les positions nationalistes aberrantes. Même s'il semble évident qu'il faut, en pratique et dans une certaine mesure, contrôler l'immigration un minimum, n'oublions pas que notre pays fonctionne en grande partie grâce à elle.
Étant originaire d'une ville industrielle et ouvrière, qui ne tient debout que grâce à ses chantiers navals, je suis bien placé pour savoir qu'une bonne partie de l'industrie française ne subsiste que grâce à la présence d'étrangers, à l'exploitation d'étrangers devrais-je même dire. Les wagons entiers d'ouvriers africains ou d'Europe de l'est qu'on paye une misère pour des conditions de travail déplorables, et à qui on refuse la nationalité et parfois même le billet d'avion pour le retour une fois leur labeur terminé, ces travailleurs sont un facteur sine qua non dans le maintien de la compétitivité de nos entreprises malgré le maintien de minima décents (et encore) pour les Français qui y travaillent. Il y a bien des secteurs où la bonne santé économique combinée à nos belles 35h et à tous nos avantages sociaux ne sont qu'une illusion basée sur l'exploitation de la main d'œuvre étrangère.

Pour ce qui est de l'ouverture au monde, c'est encore un débat vaste et épineux sur lequel j'aurai certainement l'occasion de revenir dans le détail dans un éventuel article ultérieur concernant le libéralisme économique ou la mondialisation.

J'aimerais conclure cet article en rattrapant quelque peu l'ingratitude dont on pourra me taxer en lisant ces lignes. En effet, je voudrais rendre un hommage, éculé mais mérité, à tous ceux qui ont donné leur vie, un bras ou leur visage, pour défendre notre culture, que je chéris malgré toutes ses imperfections, face à un envahisseur brutal et illégitime. Je parle ici évidemment des résistants de la Deuxième Guerre Mondiale, mais aussi des soldats anglais, américains, canadiens et coloniaux, des poilus de la Grande Guerre, des grognards de la guerre franco-prussienne, des chevaliers de la Guerre de Cent Ans... Vous fûtes tous des justiciers du droit international, seuls soldats d'une Histoire bien trop souvent honteuse à avoir combattu pour la légitimité de notre souveraineté nationale, pour une France qui voulait rester française, et qui n'aurait su perdre ce droit par la seule raison des armes. C'est grâce à vous que j'écris ces lignes dans cette si belle langue. Merci.

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