Parmi les nombreuses foutaises que la culture Disney semble avoir inculquées à notre conception du couple et de l'amour, il en est une qui résiste particulièrement mal à l'épreuve du temps. Il s'agit évidemment du "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfant". Nous sommes tous familiers du fait que, même dans les rares cas où les deux personnes qui forment un couple peuvent être assimilées au Prince et à la Princesse de nos contes de fée, le bonheur initial s'effrite rapidement.
S'il est de bon ton d'incriminer en la matière le phénomène de familiarité, auquel j'ai déjà consacré un article, ou plus largement celui de lassitude (puissant moteur de l'action humaine sur lequel je reviendrai longuement dans un article ultérieur), le facteur sur lequel j'aimerais m'attarder ici concerne ce que j'ai nommé "le déséquilibre amoureux".
J'ouvre une parenthèse pour préciser qu'une fois de plus, le contenu de cet article repose, à quelques références près, sur ma seule analyse personnelle. Il est donc tout à fait envisageable (et même hautement probable) que d'autres études menées par des professionnels en la matière aient déjà identifié ce phénomène, lui ayant sans doute attribué un autre nom, et en ayant fourni une analyse bien plus complète et pertinente que la mienne. Quoiqu'il en soit, je ne suis pas là pour faire du recopiage, et tu vas donc devoir subir les affres de l'impertinence de mon analyse ignare.
Ce phénomène peut être ramené à une phrase par la sagesse populaire, le fameux "Dans un couple, il y en a toujours un qui aime plus.", ou encore par cette citation de Desproges : "En amour on est toujours deux : un qui s'emmerde et un qui est malheureux.".
Évidemment, ces formulations sont un peu simplistes. D'autant qu'on met beaucoup de choses dans le mot "amour". Déjà, on parle aussi bien d'amour pour désigner ce que l'on éprouve pour ses enfants que pour sa femme, alors que les deux sentiments sont extrêmement différents et ont des implications très distinctes.
Mais même pris dans le sens de l'amour sensé unir deux conjoints, ce fameux prémisse rendu, dans le conscient collectif, indispensable à la vie en couple, ce terme est devenu un véritable fourre-tout. La pression autour de cet amour qu'on doit impérativement ressentir est telle que chacun finit par qualifier ainsi son attirance pour l'autre, quelle que soit la nature précise de son ressenti.
La déclaration d'amour a pris un certain nombre de rôles dans le couple. Le premier "Je t'aime" sert à formaliser l'entrée dans une relation sérieuse. Il devient ensuite un rituel destiné à rassurer l'autre sur la solidité de la liaison. Soit il est usé à tout bout de champs (fins de conversations téléphoniques, guise d'au revoir...) et sa disparition devient alors un symptôme d'une crise grave, soit il est employé avec parcimonie et sert ponctuellement pour calmer certaines tensions (période de doute, crise de confiance, baisse d'attention...).
La réciprocité de cette déclaration n'est pas vraiment optionnelle sur le moyen terme pour un couple se voulant "en bonne santé". Sans doute plus encore que le premier baiser, la première déclaration est déjà un sérieux générateur d'une asymétrie qu'il faut vite combler pour le bien du couple.
L'asymétrie est également rendue inévitable par les différences entre les deux sexes – dans les couples hétérosexuels tout au moins. Que la cause en soit culturelle ou naturelle, l'Homme et la Femme ont des psychologies différentes, des manières de concevoir la vie et les relations différentes, des ressentis différents. L'amour qu'un homme peut ressentir pour une femme est très probablement différent de celui qu'une femme ressent pour un homme. Partant de là, il est d'autant plus probable que l'amour qui unit deux homosexuels soit également différent de celui qui unit un homme et une femme, mais aussi selon qu'il s'agit d'un couple d'hommes ou de femmes.
Bien sûr, ça n'implique pas, comme certain(e)s le prétendent bêtement, que les femmes aiment systématiquement plus que les hommes, même si la tendance générale est peut-être en ce sens. Quiconque a déjà connu un homme éperdument amoureux ou une femme indifférente – ni l'un ni l'autre ne sont vraiment rares – en conviendra.
D'ailleurs "différent" n'implique pas forcément que l'un soit supérieur à l'autre, ça peut aussi vouloir dire "incomparable". Et dans un sens c'est sans doute vrai.
Seulement dans les faits, force est de constater que cette différence est quasi-inévitablement porteuse de déséquilibre. Je n'ai jusqu'ici trouvé aucun exemple d'équilibre parfait à moyen terme ailleurs qu'au cinéma, que ce soit dans ma propre histoire sentimentale ou dans mon entourage proche.
Évidemment, on a tous en tête les exemples caricaturaux de couples où la femme porte la culotte, ou bien où elle est soumise à son époux au point d'en générer compassion et incompréhension. Mettons de côté les exemples extrêmes pour nous intéresser aux cas d'équilibre apparent. On s'apercevra que c'est souvent le même qui écrit les textos et les attend, qui a des petites attentions pour l'autre, qui ne s'intéresse guère de trop près aux autres représentants du sexe convoité, qui propose l'acte sexuel tandis que l'autre dispose... Même si la balance touche rarement le sol d'un côté, elle n'est jamais vraiment au milieu, et le déséquilibre tend à se retrouver, léger ou accentué, dans plusieurs domaines (communication, organisation de la vie de tous les jours, sexualité, fidélité...).
Bref, les deux composantes d'un couple ne s'aiment pas de la même façon, et cette inégalité est quasi-inévitablement porteuse de déséquilibre. Pourtant, qu'on soit dans un rôle ou dans l'autre, ce n'est pas un constat évident à accepter. En effet, le déséquilibre implique une sorte de "domination amoureuse", aussi subtile soit-elle.
Déjà, au sein du couple. Il est évident que formuler une répartition des rôles dominant/dominé peut être extrêmement humiliant et provoquer de la discorde. Peut-être vaut-il mieux ne pas l'évoquer, à moins que ce déséquilibre ne soit tout à fait acceptable pour les deux partenaires, conscients.
Mais même en dehors, il faut une grosse force d'objectivité pour reconnaître qu'on se laisse dominer par son partenaire, ou qu'on impose à la personne qu'on aime ce type de rapport. Il n'est flatteur de se reconnaître ni dans celui qui aime plus, ni dans celui qui aime moins. C'est un peu, de manière caricaturale, comme avoir le choix entre être un salaud ou un imbécile.
Et je pense que c'est la difficulté de reconnaître cette différence qui fait que la plupart des couples nieront la présenter. Evidemment, ça implique qu'elle ne puisse être mesurée que par des observateurs extérieurs, donc mal informés, et qu'il soit donc impossible de démontrer formellement l'existence du phénomène, et encore moins son caractère universel.
Je suis néanmoins convaincu qu'une des clés d'une relation de couple durable et heureuse – en laquelle je continue à croire malgré tout mon cynisme et mon rejet de la thèse de l'existence d'une âme sœur – réside dans une bonne connaissance du rôle dans lequel on se complait le plus (attention, aussi dur que ce soit à s'avouer, il ne s'agit pas forcément de celui de dominant), du point auquel on veut le jouer (entre celui qui reçoit plus de textos qu'il en envoie et celui qui bat sa femme, il y a une certaine marge), et d'un(e) partenaire avec qui établir cet équilibre à peu près tel qu'il conviendra aux deux.
Cela impliquera bien sûr une bonne connaissance de soi et de l'autre et, comme à chaque fois qu'on veut réussir quelque chose d'important, de nombreux essais infructueux.
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