vendredi 23 octobre 2009

Contradictions alternatives

"Nous imposerons la liberté par la force !" s'écrie l'anarchiste révolutionnaire.
"L'égalité sera garantie par le pouvoir." propose le communiste autoritaire.
"Je suis super tolérant, mais seulement envers ceux qui ont les mêmes idées que moi." explique l'anti-raciste militant.
"La femme ne sera libérée que lorsqu'elle sera réduite à la vision que nous avons d'elle." professe la féministe.
"C'est en escamotant la différence qu'on atteindra la tolérance." proclame le républicain anti-communautarisme.

Évidemment non, ils ne le formulent pas comme ça. En réalité, ils n'ont généralement pas conscience de l'aspect contradictoire de leurs belles idéologies. L'alliance de bonnes intentions avec une perspective utopique et la conviction que la fin justifie les moyens n'est guère propice à la remise en question. Si on ajoute à cela que le militant lambda est souvent un tel partisan de l'action qu'il en vient à mépriser tout ce qui pourrait l'en détourner, débat approfondi en tête, on s'aperçoit qu'on a tous les ingrédients qui augurent des plus sombres perspectives.

J'aimerais opposer à ces contradictions d'autres paradoxes, selon moi à la fois plus légitimes et plus fertiles.

Tout d'abord, j'aimerais introduire l'éventualité d'être à la fois opposé au racisme et à l'anti-racisme, du moins dans sa version militante que beaucoup de mes concitoyens semblent considérer comme l'héritage positif de la Seconde Guerre Mondiale, la leçon à tirer de la Shoah. S'il est un domaine où tout le monde semble s'accorder pour concéder que la fin justifie les moyens, c'est bien ce fameux "Tout faire pour que ça ne se reproduise plus". Tant pis si l'on doit pour cela avoir recours aux moyens mêmes qui ont fait le triomphe de l'idéologie raciste sur la raison humaine : censure, ferme négation pseudo-scientifique de l'existence des races, manipulation de masse, glorification de symboles patriotiques, galvanisation des rancœurs héritées de la dernière guerre en date, etc. C'est là une belle leçon de pragmatisme : au lieu de retenir que ces méthodes n'étaient nullement le chemin de la raison, nous en avons seulement retenu qu'elles étaient efficaces pour modeler l'opinion.

Nous en arrivons donc au deuxième paradoxe que je me propose de te proposer : savoir être à la fois contre le fascisme, et contre l'anti-fascisme, ou du moins son penchant autoritaire. Retrouver des affiches déclarant arbitrairement "Ici, zone anti-fasciste", posées par les mêmes anarchistes révolutionnaires qui entendent imposer la liberté par la force, n'a plus rien de surprenant, à tel point qu'on en oublie presque le niveau d'aberration dont de telles pratiques relèvent. Vouloir combattre une idée par l'autorité, en l'interdisant publiquement, est d'une totale inefficacité ; la pérennité de nombre d'idéologies opprimées (christianisme, judaïsme, etc.) en témoigne. En plus de cette inefficacité, l'idée d'une lutte contre l'idéologie de l'autorité par le moyen de l'autorité relève de la plus dangereuse des absurdités.

Allez, enfonçons-nous dans la provocation, soyons féministes, soit favorables à une égalité des droits entre hommes et femmes, et anti-féministes, c'est-à-dire opposés à l'image de la femme et à l'égalitarisme autoritaire que promeuvent les féministes. Et si nous étions laïques, désireux que les pratiquants de chaque religion puissent cohabiter librement, tout en rejetant l'idée que des députés judéo-chrétiens interdisent à des musulmanes de satisfaire à leurs coutumes vestimentaires au sein d'écoles dont ils leur ont rendu la fréquentation obligatoire ?

Bon, on peut sans doute s'arrêter là. Tu l'as remarqué toi aussi, c'est un peu toujours le même schéma. Le motif qui se répète ? La dénonciation de la confusion entre le vice et le crime, entre le mal et l'interdit, entre ce qui relève de la morale et ce qui relève du droit. On peut être en désaccord avec une idée, réprouver un fait, sans pour autant vouloir les interdire. De même, pour peu qu'on soit réellement attaché à des concepts comme la liberté ou la tolérance, on devrait en leur nom s'opposer à l'interdiction de ce qu'on désapprouve.

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