dimanche 21 février 2010

Culte de l'action

Tout le monde s'accorde plus ou moins à reconnaître que, si elle n'est pas traduite en action, la pensée seule est stérile.

Là j'ouvre quand même une parenthèse pour rappeler que, si je m'apprête à acquiescer pour la rhétorique, je ne suis absolument pas d'accord. Exercice intellectuel, branlette de mammouths et sodomie de drosophiles peuvent se révéler des occupations passionnantes, ce qui suffit, au moins à mes yeux, à les qualifier de fins en soi. Et dans la mesure où ils ne sont pas moins distrayants pour ceux qui s'y adonnent, ni une réflexion sur l'influence du stoïcisme dans les considérations morales de Nietzsche, ni un débat autour du lien entre mondialisation et communautarisme ne me paraissent plus stériles qu'un atelier poterie, une partie de foot, un trekking dans l'Himalaya ou encore une soirée télé devant la méthode Cauet.

Bref, admettons avec les pragmatiques que seule la perspective de l'action justifie le temps qu'on perd en réflexion. Certains ne peuvent visiblement pas se contenter de cet aphorisme fort acceptable, et semblent devoir le radicaliser, allant jusqu'à prêcher la vanité de la réflexion en ce que j'aime appeler le culte de l'action. Parfois, il s'agit de militants radicaux déjà tellement embrigadés par leur cause qu'ils considèrent qu'y réfléchir est contre-productif, que le travail de pensée a déjà été effectué par les leaders et penseurs à la tête du mouvement et qu'il n'y a plus qu'à servir en bons soldats. Mais il y a aussi ceux qui, conscients de leurs propres limites intellectuelles, trouvent plus confortable de mettre une justification morale derrière leur incapacité à sortir de ce qu'ils font le mieux : agir, par opposition à penser.

Je sais, je force un peu le trait, du coup tu as l'impression que je perds contact avec la réalité et que je me bats contre des ennemis invisibles. Et pourtant, cette tendance du "bouger avant de penser" nous accable quotidiennement de répercussions délétères :
- les lycéens et étudiants qui vont manifester (et dégrader) en masse pour défendre des intérêts qu'ils ne comprennent pas, protestant, tant par bête mimétisme que par une inconsistante rébellion adolescente, contre des politiques dont ils ne font qu'effleurer les tenants et aboutissants ;
- l'exaltation du vote comme devoir citoyen, avec le mantra du vote utile, se concentrant tous deux sur l'action en soi et non le processus de réflexion censé en constituer l'essence ;
- la version active du principe de précaution qui, pour la grippe A comme pour le réchauffement climatique, préconise qu'il faut à tout prix agir à grands frais avant de bien connaître la menace et ses mécanismes, oubliant que le coût de l'action peut être bien supérieur à celui du danger, particulièrement s'il est surévalué ou quand elle est mal ciblée ;
- plus largement le volontarisme politique dans tous les domaines, encouragé par la sanction électorale de l'inaction, comme s'il valait mieux agir à tort et à travers (avec toujours plus de nos impôts) que de ne rien faire (Le "politician sophism" : "We must do something – This is something – We must do this")

Et oui, on doit sans doute au culte de l'action l'escalade sans borne du poids (et de la dette) de nos états, toutes nos plus mauvaises politiques publiques, les grèves à répétition lancées par quelques syndicalistes radicaux et peut-être même une bonne part de notre terrorisme international.

Et le pire c'est qu'on ne peut rien y faire. Moi le premier, je t'accorderai qu'un juste dosage entre action et réflexion préalable, ça ne se décrète pas pour autrui, ça se décide au niveau individuel. Notre seul recours reste de se mettre à l'abri des arbitrages défectueux d'autrui par un régime de liberté, un vrai régime de droit. Et si je t'encourage à y réfléchir autant que tu le jugeras nécessaire, j'espère que nous saurons tous deux, un jour ou l'autre, traduire cette réflexion en action.