mercredi 30 septembre 2009

Révolution

Un jour je m'amuserai à rédiger un dictionnaire énumérant toutes les atrocités justifiées, et parfois même encensées, en invoquant le doux nom de la révolution.

Nan je déconne, ça me prendrait beaucoup trop de temps. Des guillotinés en chaîne de la Terreur française aux exactions de la révolution culturelle chinoise ; de la routine des coups d'état africains au terrorisme des milices communistes sud-américaines ; des innombrables massacres populaires spontanés à l'holocauste russe et ses cent millions de morts ; je blêmis à la seule idée de la quantité de papier qu'il me faudrait noircir pour couvrir, même brièvement, la mort souvent atroce de chacune des victimes des révolutions. On ne compte plus le nombre de régimes totalitaires et liberticides imposés au pouvoir par une minorité belliqueuse et sans merci, auto-proclamée voix du peuple au nom d'un énième idéal utopique.

Et pourtant, en France comme dans de nombreux autres pays, la révolution reste le symbole même de la justice, de la liberté et de l'émancipation. En tous ces états, le pouvoir l'agite tel un drapeau, fondant sur elle, sur cet accaparement par la force, sa légitimité et son autorité, imprimant au peuple son unité forcée dans des valeurs idéalistes qui, même si son ensemble les avait réellement choisies unanimement, ont depuis fatalement été perverties par l'épreuve de la réalité. Et il l'agite tant et si bien que le peuple finit par la suivre, captivé par elle, convaincu d'y voir son salut, et que son salut ne peut venir que d'elle.
Le peuple français en est un exemple édifiant : ayant basé la légitimité de son régime de gouvernance sur une révolution (ou plutôt sur une succession de révolutions), il s'est convaincu, de commémorations en fêtes nationales, qu'elle est la responsable de tout le progrès dont il a bénéficié depuis. Il a comme oublié que nombre de ses voisins n'ont pas eu besoin d'un tel déchaînement de violence pour jouir des mêmes bienfaits. Engoncé dans son chauvinisme et les discours de ses politiciens, il refuse toujours de réaliser que, bien loin de l'avoir gratifié d'un quelconque avantage, ce culte de l'ochlocratie l'a fragilisé, contribuant à son éconduite dans la sympathie d'aberrations politiques qui l'handicaperont sans doute encore durablement.

Ne pouvons-nous donc convenir, avec Rousseau, que la force ne fait pas droit ? Qu'une minorité ayant pris un pays par les armes, ou dressé son armée contre son gouvernement, n'a pas nécessairement plus de légitimité à imposer sa volonté que le gouvernement à l'origine de son mécontentement ? Pire, qu'approuver un tel coup d'état revient à en entériner la méthode, et à légitimer sa prévisible récurrence ? Comment notre idéal révolutionnaire peut-il juger l'instabilité gouvernementale en Afrique ou les exactions de groupes terroristes tels que les FARC, alors que ceux-ci ne font que s'y conformer ?

Chaque régime est basé sur une législation, sur un ordre des choses donné. S'il est inadapté, il doit être modifié à moindre coût, et pour un autre plus adapté, ce qui suppose une avancée progressive et raisonnable, une évolution plus qu'une révolution.
Et quand bien même le peuple serait persuadé de n'avoir rien à perdre, que le régime qu'il instaurera sera forcément préférable au précédent, que se passera-t-il quand il s'en sera lassé ? Aussitôt que le soufflet des fausses promesses sera retombé, quand il aura réalisé le peu d'influence positive qu'un gouvernement peut avoir sur ses soucis quotidiens et que de nouveaux idéalistes viendront proposer une nouvelle utopie, le peuple, fort de son héritage révolutionnaire, renversera encore son régime et écrasera ses fidèles en un nouveau tour sanglant de ce manège macabre.
Même en présumant qu'il soit légitime d'imposer un régime quelconque, nouveau ou ancien, à une partie de la population, je ne m'explique pas qu'on puisse accepter, légitimer, encenser cet accouchement dans une douleur systématique, dans une horreur indicible.

Car la révolution c'est tout ça : les idées qui valent plus que la vie humaine ; des hommes qui en massacrent d'autres pour les punir non de leurs actes mais de leurs opinions ; des tribunaux arbitraires qui assassinent à la chaîne sur la base d'un régime de droit qui n'était pas en place au moment des faits, ne retenant même pas à la décharge des condamnés la fatalité de leurs conditions d'alors ; la sécurité de chacun livrée au bon vouloir d'une foule sanguinaire et ignorante, aveuglée par une colère souvent mal orientée par les opinions faillibles que lui prêchent d'implacables démagogues.

Les révolutionnaires les plus aguerris, le plus souvent athées convaincus, ont cela de commun avec les croyants qu'ils sont convaincus d'appartenir à quelque chose qui les dépasse, qui justifie qu'ils s'y consacrent tout entiers, qu'ils combattent inlassablement, qu'ils châtient sans pitié l'hérétique. Cet idéal absolu, par lequel ils se laissent régir et dont ils tirent leur prétendue autorité à régir les autres, ils ne lui donnent pas le nom de dieu, mais de cause. En braves petits croisés, ils vont au combat sacrifier à la cause tant leurs vies que celles de leurs opposants.

Enfin, peut-être un jour les individus parviendront-ils à s'apercevoir que leur destinée repose entre leurs mains, et non dans les griffes dont ils nantissent leurs gouvernants, s'érigeant tour-à-tour en troupeau sous leur garde ou en armée pour les renverser. Peut-être alors, comme le rêvait La Boétie, les laisseront-ils tomber, petit à petit et sans autre effusion de sang que celles que requiert la légitime défense, réprimant les actes et non les idées. Et peut-être encore ne suis-je, moi aussi, qu'un dangereux idéaliste.
Je n'ai pas encore la prétention de proposer une méthode de réforme parfaite et infaillible. Mais je refuse de voir autrement que comme un mérite mon rejet catégorique, tant intellectuel que moral, d'idéaux qui prétendent baser leur légitimité sur la coercition et la transgression.
Débarrassons-nous de cet idéal révolutionnaire, et avec lui d'une des chaînes nous liant à l'autorité étatique. Cela ne nous suffira sans doute à gagner ni la paix sociale, ni la liberté, mais au moins y obtiendrons-nous que ces deux idéaux ne soient plus mis à mal par cette insatiable chimère.

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