Rien de tel qu'un navrant jeu de mot déjà entendu huit millions de fois pour rebondir sur un sujet d'actualité particulièrement marquant. Je replace le contexte pour la postérité où le lecteur inculte que tu es peut-être n'a sans doute plus aucun souvenir de cette affaire qui agite actuellement les médias :
Une association française, l'Arche de Zoé, s'est fixée pour mission de faire adopter par des Européens des enfants orphelins originaires de la zone du Darfour, région du Soudan frontalière du Tchad et en proie depuis 2003 à une horrible guerre civile et à un drame humanitaire sans équivalent.
Honorable intention a priori, mais l'affaire tourne au drame quand les bénévoles de l'association sont arrêtés pour trafic d'enfants au Tchad, d'où ils devaient décoller avec 103 enfants qui se sont avérés n'être même pas tous des orphelins. Et c'est là qu'on apprend que les braves humanitaires n'avaient pour ainsi dire aucune autorisation et qu'ils violaient à la fois tous les règlements français concernant l'adoption et les lois tchadiennes sur l'enlèvement.
Et le président tchadien de pousser de hauts cris d'indignation, fustigeant le trafic d'enfants à de probables fins pédophiles, réveillant le spectre esclavagiste du blanc voleur d'enfants; et le gouvernement français de condamner l'action et de nier sa connaissance pourtant avérée de l'opération, le tout sur fond de débarquement, imminent et prévu depuis quelques temps déjà, d'une force armée européenne au Darfour.
Bref à l'heure où j'écris ces lignes, les huit bénévoles et le reporter qui les suivait viennent d'être inculpés pour enlèvement d'enfants et font couler des litres d'encre depuis leurs cellules de terre tchadiennes.
Ces braves militants sont certainement des gens très bien qui ne méritent aucunement la réputation qu'on leur fait, ni encore moins de passer les 20 prochaines années dans les camps de travaux forcé tchadiens.
Mais il faut quand même être complètement inconscient pour arracher à leur pays 103 enfants dont on ne sait quasiment rien, au mépris des lois et des règlements de plusieurs états. Enlever une centaines de gamins c'est quand même un crime très grave.
D'accord, ça part d'une bonne intention, mais ça n'excuse pas grand chose. Déjà les bonnes intentions, l'enfer en est pavé; pour tomber dans la comparaison facile et hors-sujet, Hitler avait sûrement les meilleures intentions du monde pour son pays quand il a ordonné d'exterminer des millions de Juifs. Et puis il y a des limites à ne pas dépasser. Je veux bien admettre que certaines lois soient faites pour être enfreintes, mais là il est quand même question d'enlèvement d'enfants.
Bref ils méritent un gros coup de pied au cul et quelques années de taule avec sursis mais j'espère quand même sincèrement pour eux qu'ils pourront être jugés en France.
Ce qui me reste quand même en travers de la gorge c'est le fait que certains des enfants n'étaient même pas orphelins. Sur une bande audio diffusée hier à la radio, j'ai clairement entendu le dirigeant de l'association expliquer qu'il y avait plein de cas où ils ne pouvaient pas savoir.
En est-on rendus à ce stade, dans l'humanitaire, qu'on cherche à aider à tout prix, même sans être sûrs qu'il y ait besoin d'aide ou qu'on aide vraiment. Sommes-nous à ce point persuadés de notre propre supériorité que nous sommes prêts à arracher à son pays et à sa culture le premier enfant qu'on nous présente comme étant orphelin, convaincus que, quoi qu'il en soit, il sera mieux chez nous dans notre belle société occidentale que sur la terre de ses ancêtres.
Ceci n'est pas vraiment une attaque envers ces gens qui ont eu le courage de se bouger et d'agir pour aider des gens pendant que moi je reste assis devant mon PC à leur verser de l'encre dessus pour m'occuper. Mais leur attitude, ainsi que celles des 100 familles qui, en France, s'apprêtaient à accueillir ces jeunes réfugiés, n'est-elle pas symptomatique de la culpabilisation de notre société ?
Notre sentiment de culpabilité est justifié. Notre confort moderne s'est bâti sur la sueur et le sang des colonies, sur le régime à l'origine de l'absurdité des inégalités internationales actuelles. Notre pays et ses habitants doivent assumer leurs responsabilités. Je suis pour qu'on paye nos dettes comme on peut, et qu'on fasse profiter le plus possible les habitants de ces pays de notre développement, qu'ils ont porté sur leurs épaules sans en récolter les fruits.
Injectons de l'argent dans leur économie, investissons chez eux, achetons leurs produits, formons-les, offrons-leur nourriture, eau, médecine et éducation, détournons-les du sentier de la guerre.
Mais ne leur volons pas leurs enfants ! Ce n'est pas en ramenant leurs habitants en Europe à un âge où ils ne sont pas capables de le demander, ni même de le comprendre, qu'on allègera la misère de ces pays. On ne les aidera pas en leur prenant leurs jeunes, leurs forces vives, pas plus qu'avec une "immigration choisie" qui ne viserait à les piller que de leurs atouts.
Il y a des limites à tout, même à la volonté légitime qu'on peut avoir d'aider son prochain.
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