jeudi 13 septembre 2007

Ta machine à tuer

Parmi les nombreuses infamies qui tapissent notre vie quotidienne, il en est une particulièrement abjecte qui, pourtant, semble extrêmement courante et parfaitement acceptée.
Je ne parle pas ici de viol d'enfant, de meurtre, d'attentat ou de torture. Ces exactions sont effectivement révoltantes et mériteraient au moins autant de se voir dénoncées ici, mais elles restent tout de même plutôt rares par rapport à celle que je tiens à fustiger aujourd'hui.
Je ne parle pas non plus de piratage, de vol à l'étalage, de fraude fiscale ou d'émissions de télé-réalité. Ces menus larcins, bien que préjudiciables, n'ont guère de conséquences graves sur la vie ou la santé des gens (encore que pour la télé-réalité ce soit discutable).
Ce méfait que je veux dénoncer est presque aussi grave que les premiers tout en étant au moins aussi courant que les seconds.

Il s'agit de la conduite en état d'ébriété.

J'entends déjà cette réflexion se former au fin fond de ton cerveau reptilien tant la zone qui contrôle ta logique, si accoutumée à la chose qu'elle en est atrophiée de dédramatisation, se désintéresse d'un sermon aussi moralisateur.
"Pfiou, je m'attendais à un truc vraiment grave. Conduire bourré on sait que c'est pas bien mais bon..."
Maintenant rallume ta boîte à penser et réfléchis-y avec moi de manière un tantinet sérieuse. L'abruti lambda qui, par inconséquence, paresse ou stupidité maladive, ou toute autre raison aussi mauvaise soit-elle, monte dans sa voiture bourré et prend comme il peut le chemin de sa tanière, quel risque fait-il courir ? Et à qui ?
En général, il a un minimum de sens commun, comme en témoigne son obtention du code et du permis (ceux qui conduisent bourrés et sans permis sont tellement hauts dans mon échelle du dégoût que je préfère ne pas m'étendre sur leur cas), il a donc au moins déjà eu affaire à un minimum de sensibilisation et sait vaguement que c'est risqué pour lui (je dis lui mais ça peut être elle aussi). Ce risque, en héros courageux qu'il est, il l'accepte et l'assume pleinement.
Ce qu'un savant mélange d'égocentrisme et de stupidité lui empêche de voir, c'est qu'il a à peu près autant de chance de flinguer quelqu'un d'autre que de se flinguer lui-même.
Après tout, c'est pas si grave, c'est juste un danger de mort et de handicap permanent qu'il fait courir à lui-même et à ceux de ses proches qui, dans un élan d'inconscience collective, se seraient proposé ou laissé convaincre de monter avec lui. Si encore ça ne concernait que ceux-là, ce ne serait quelque part pas si grave, un bel exemple parmi tant d'autres de sélection darwinienne. Mais seulement voilà, conduire bourré c'est impliquer une foule d'innocents qui n'ont rien demandé : la famille qui arrive en voiture en face, la p'tite vieille qui traverse dans la rue sombre, le jeune en scooter sur le bord de la route, etc.

"Ouais mais t'inquiète, j'ai l'habitude, je l'ai déjà fait plein de fois et il m'est jamais rien arrivé."
Mais con de toi !!
Puisses-tu t'enrouler autour du premier platane qui se présentera à toi avant d'avoir fait des victimes! Quand bien même tu aurais cette élégance que ce ne serait pas assez. Te plaît-elle tant que ça la perspective de finir ta vie dans un fauteuil à roulettes, que tu n'es pas prêt à faire l'effort de dormir dans ta voiture quelques heures pour l'écarter ? Tu ne mérites pas le dixième de ce que fera pour toi la société, à prendre en charge le prix exorbitant de ton coma ou de ton infirmité, pendant toutes ces années où tu croupiras, inutile, à peine assez puni pour l'étendue de ta connerie. Et le pire c'est que la société te plaindra, mielleusement larmoyante devant le pauvre miséreux que le destin a frappé. Et bien moi je ne te plaindrai pas.
Quand bien même tu nous rendrais le service de te tuer sur le coup je ne te plaindrais pas. Outre que rien ne sert de plaindre un mort, tu laisserais toujours derrière toi une famille accablée, se ruinant en obsèques pour te rendre un hommage dont tu n'es même pas digne.

Malgré ma profonde conviction de prêcher dans le vide et de ne pouvoir toucher ni ton cerveau poreux ni ton dangereux égo, je m'attarde à te rappeler que je suis au courant que tu ne tues pas à chaque fois. Je sais que ton aptitude à maîtriser ton engin de mort n'a généralement pas encore eu de faille, sinon j'ose espérer que tu aurais compris.
Non, presque malheureusement, ce n'est pas le premier soir où tu vas à la faute que le drame se produit; si c'était le cas, ça finirait par se savoir et j'aurais peut-être moins à te supporter sous tous ces visages familiers autour de moi. Ce n'est pas forcément la deuxième non plus, ni nécessairement la troisième. De même que tu peux conduire bourré sans que rien n'arrive, tu peux avoir un accident en étant sobre et attentif. Après tout tu ne fais qu'augmenter les risques.
Cet argument te plaît, te conforte dans la douce chaleur de ta confortable ignorance. Mais c'est la reproduction du risque qui fait que ça finit par arriver.
Si tu dois ne retenir qu'une leçon de cette diatribe enflammée, c'est que chaque fois que tu prendras le volant ivre, aussi sûr de toi et de ta capacité à rentrer sans encombre que tous ceux qui, chaque jour, tuent des gens sur la route, tu fais un pas de plus vers la pire chose qui puisse t'arriver. N'oublie pas que ta voiture est une machine à tuer et que si tu ne fais pas tout ce qu'il faut pour en assurer un usage responsable, tu commets potentiellement un crime bien plus grave que la plupart de ceux que tu réprouves avec dégoût.

2 commentaires:

  1. ca ne t'arrive pas de rentrer chez toi apres avoir bu

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  2. Hum non, contrairement à la plupart des gens, j'applique autant que possible mes belles idées dans la vie de tous les jours. Si je veux rentrer je bois très peu, si je veux boire je dors dans ma caisse (ou dans une tente, ou je marche, ou je me fais ramener etc. C'est pas les solutions qui manquent).

    Après, ce que je dénonce ici c'est le fait de conduire bourré, pas de prendre le volant après 4 bières espacées sur quelques heures (encore que pour certaines personnes ça suffise). Il ne s'agit pas ici d'appliquer bêtement le règlement en se tenant servilement en-dessous des 0.5 légaux, mais une fois de plus de faire preuve de responsabilité en évaluant avec honnêteté - et de préférence a priori - la limite qu'on se fixe pour ne pas être dangereux pour autrui. S'en montrer incapable est non seulement stupide et irresponsable mais criminel.

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