lundi 20 juillet 2009

Exaltation de la médiocrité et de l'hypocrisie

Le culte de la médiocrité est omniprésent. On le retrouve non seulement dans le succès des jeux télé ou des romans Harlequin, mais aussi dans les exhortations à rester simple, dans la sanctification du modeste (celui qui ne se met pas en avant bien que se sachant valeureux en une hypocrisie vaine que j'ai déjà brièvement dénoncé) ou encore dans le rejet des manifestations d'ego.

Les facteurs en sont assez simples. Outre l'héritage de la philosophie chrétienne qui, sans innocence aucune, promettait les clés du Paradis aux humbles, aux simples d'esprit et aux généreux (surtout envers l'Église), j'impute essentiellement ce phénomène à l'incompatibilité latente entre les appétences sociales de l'individu et la démonstration de sa valeur (au sens large).
Pour faire simple, les gens aiment se complaire dans leur médiocrité et ne supportent pas qu'on la leur rappelle. C'est déjà une impolitesse de pointer du doigt les défauts des uns et des autres, mais alors quand on le fait en soulignant sa propre irréprochabilité en la matière, ça devient carrément un affront. Un reproche quelconque passe beaucoup mieux quand on l'accompagne d'un "Mais moi je fais pareil hein !", sous-entendant "Je ne suis pas mieux que toi", mais aussi par la même, "T'inquiète, reste comme tu es, c'est pas si grave".
Et pour se venger de ceux qui nous rappellent notre propre médiocrité, on a fait du terme "prétentieux" une insulte, y intégrant le sens sous-jacent que celui qui mettait en avant ses propres qualités devait nécessairement en être dépourvu, réduisant celui qui prétend à la valeur à un imposteur infréquentable et inintéressant.

L'homme étant ce qu'il est, un animal social, il a voulu tendre vers l'appréciation d'autrui et l'insertion sociale au point de se persuader que c'était justement la considération des autres qui faisait sa valeur. Quoiqu'il fasse, la réussite est de se faire bien voir, de chercher la reconnaissance de ses pairs, de se faire apprécier. Et plus on plaît à un nombre important de gens, plus la réussite est grande. D'où l'intérêt de ne pas se mettre du monde à dos en évitant de sortir des clous de la bien-pensance communément admise comme morale et de ne surtout pas sembler rappeler aux gens leur propre médiocrité.
Si on veut se comparer, il s'agit de toujours le faire à son désavantage, en se mesurant à ceux qui nous sont supérieurs, oubliant qu'on cherche à progresser non seulement pour se rapprocher des plus grands, mais aussi pour s'élever au-dessus de la masse. Quand le vainqueur parle du vaincu, il doit toujours souligner les qualités dont il a fait preuve, et ne surtout pas mentionner la seule information utile pour progresser : ce qui lui a manqué pour triompher.
Et pourtant tout le monde se prétend libre-penseur, chacun - souvent pris en défaut sur une détestable habitude et réagissant au reproche comme un gamin - a déjà dit au moins une fois "Moi je m'en fous de ce que pensent les autres, je fais ce que je veux d'abord" ou encore "Ouais peut-être mais moi au moins...". Même si certains acceptent l'idée générale qu'être plus valeureux c'est être différent - être mieux que les autres -, la plupart du temps il suffit qu'on fasse remarquer sa supériorité dans un domaine pour que toutes ses origines (la volonté, le travail, la persévérance, le talent, le courage, l'originalité...) soient immédiatement oubliés.

L'égalitarisme ambiant alimente aussi ce phénomène. Engoncés dans une conséquence de l'emploi abusif du terme "égalité", nourris par l'idée que nous sommes peu de choses, pour ainsi dire rien, la croyance s'est généralisée que nous nous valons non seulement dans cette nullité, mais par elle.
Mais non, tout ne se vaut pas, tous ne se valent pas. Cette conception qui veut que, dans cette égalité universelle, je puisse valoir un Vinci ou un Einstein est tout aussi ridicule et vaine que la prétention de certains abrutis à me valoir - à valoir mieux que moi même - juste en me traitant de prétentieux (merci à Vaquette pour les arguments de ce paragraphe, je reconnais quand je plagis).

Tu me diras que la vraie valeur n'a pas besoin d'écho pour être reconnue et qu'elle finira par éclater au grand jour, qu'on peut tout à fait concilier valeur et modestie. Je te traiterai alors de doux idéaliste - les gens sont souvent trop occupés pour rechercher la valeur et trop médiocres pour la reconnaître si on ne la leur montre pas du doigt - et t'expliquerai d'autre part que ce serait se complaire dans une hypocrisie et une lâcheté dont je souhaite me détacher, que je ne veux surtout pas, renoncement après renoncement, voir devenir des constantes de ma personnalité.
J'aime à croire que cette exigence et cette honnêteté (ce courage aussi), et par elles cette intégrité et cette fiabilité, sauront (savent déjà) me valoir l'estime de certains de mes contemporains - au moins quelques-uns, peut-être plus valeureux que les autres pour le coup, peut-être plus influençables face à mes beaux discours - et me préserver ainsi de la solitude, dont mes tendances misanthropiques ne suffisent pas - je l'avoue - à me rendre l'idée supportable.

"Mais au fait, à quoi est-ce que tu prétends au final ? Tu fais quoi de si merveilleux, à part ta branlette pseudo-intello en style je-me-la-pète-littéraire dans un blog perdu que personne lit ?"
Je prétends à la pensée critique, à la curiosité, à l'ouverture d'esprit (la vraie, pas celle qui consiste à ne pas avoir d'avis ou d'opinion), à la remise en question (je sais, à me lire c'est pas évident, c'est parce qu'en général la remise en question je m'y adonne avant d'écrire, avant de répandre mon avis). J'ai la prétention d'avoir mes idées à moi, de me les être construit moi-même, pas sans influence bien sûr, mais d'avoir toujours remis en question ce qu'on m'avait inculqué avant de le digérer bêtement, et aussi d'en avoir trouvé une bonne partie tout seul. J'ai la prétention d'être plus intelligent et plus cultivé que la médiane, et même que la moyenne (et c'est pas du luxe quand on voit la différence entre ladite moyenne et le haut du panier). Je prétends à l'érudition, à la sagesse. Pas tout de suite bien sûr, mais je veux suivre une courbe qui finirait par m'y emmener, dussé-ce être après ma mort. Je prétends à l'intégrité, à la fiabilité, à la nuisance minimum nécessaire à ma propre jouissance (ça aussi j'y arriverai). Je prétends à terme au bonheur, dans la plupart des acceptions : à la liberté, au confort, à l'amour (le vrai ?), à la reconnaissance, à la noblesse, à la capacité de ne pas laisser ma lâcheté et ma paresse me dicter ma conduite, à la poursuite d'un but, à la vertu, à la plénitude du corps et de l'esprit, sinon toujours le plus souvent possible. Je prétends vivre au moins aussi heureux que toi, plus même si possible, et un vrai bonheur, pas basé sur l'illusion, la trahison ou le mensonge, sans avoir à assumer chez moi ce que je dénonce chez les autres, en sachant profiter de ce que j'ai sans jamais m'en contenter. Je prétends à la progression. Je prétends à être mieux que toi, pas forcément tout de suite, pas forcément en tout, mais en ce qui compte, en ce qui comptera.

1 commentaire:

  1. Alors, je suis un doux idéaliste. Merde, je savais bien que quelque chose clochait !
    ...
    Tu oublies cependant qu'il y a une certaine jouissance dans le fait de laisser un con déblatérer des conneries - surtout en public. Ce sentiment fort agréable d'être "au-dessus" ...

    G.

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